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Les femmes qui inventèrent le septième art

Lisa Behot 30 avril 2020
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Dorothy Arzner et Clara Bow sur le tournage de Les Endiablées (1929)

Les débuts du cinéma sont souvent associés aux frères Lumière, à Chaplin… Ce qu’on ignore en revanche, c’est que les femmes ont eu une place décisive dans cette histoire. Au début du siècle, elles étaient nombreuses à construire et développer Hollywood. Elles furent ensuite totalement évincées de ce secteur…

Dans l’interview donnée au magazine Antidote par Clara et Julia Kuperberg à propos de leur documentaire Et la femme créa Hollywood, on apprend que dans les années 1910, les femmes occupaient une place très importante dans le cinéma. En effet, cet art n’était pas aussi prestigieux qu’aujourd’hui ni aussi lucratif. On était juste après la création du cinématographe par les frères Lumière en décembre 1895 : Hollywood n’était pas développé et si Thomas Edison dominait sur la côte est des États-Unis, personne n’avait le monopole à l’Ouest. Il y avait donc un marché à prendre.

Un eldorado pour les femmes libres

Rappelons que la condition des femmes à cette époque : elles n’avaient pas le droit de vote, ni de se syndiquer – ce qui leur portera fortement préjudice par la suite – et leur rôle dans la société se limitait à être de bonnes épouses et de bonnes mères. Celles pour qui ce destin n’inspirait que mépris trouvèrent dans le cinéma un moyen d’expression, de création et une perspective d’avenir séduisante. Elles se dirigèrent donc vers le grand Ouest. De là, elles montèrent tout un panel de studios de cinéma. Elles sont à l’origine de nombreuses innovations comme par exemple Alice Guy, qui réalisa en 1896 le premier film narratif, quelques mois avant Georges Méliès :  La fée aux choux. Lois Weber quant à elle crée le premier film couleur, invente le split screen (qui consiste à séparer l’écran en plusieurs parties), réalise en tout et pour tout plus de 300 films et s’engage sur des sujets féministes comme le droit à l’avortement en 1916 dans Where are my Children ?. Il y a aussi Mabel Normand, qui apprend à Charlie Chaplin à écrire des sketchs comiques ou encore Dorothy Arzner, inventrice de la perche et qui était surnommée la « maire d’Universal » par Carl Laemmle, le patron d’Universal Studios de l’époque.

Lois Weber

La Grande Dépression : l’élément déclencheur de la ruée des hommes vers l’Ouest

Pourquoi ces femmes qui ont révolutionné le monde du cinéma ne sont-elles connues aujourd’hui que par des cercles très fermés de cinéphiles ? On trouve la réponse quelques décennies plus tard, aux alentours de 1930. À cette époque, la Grande Dépression ravage les États-Unis, laissant derrière elle chômage et pauvreté. Personne n’est épargné, des ouvriers licenciés sans scrupule aux plus grands investisseurs du pays. Les riches hommes d’affaires de New York sont donc ruinés, et cherchent un nouveau secteur lucratif à développer. Leurs yeux se tournent alors vers Hollywood. Les syndicats s’installent dans les studios, et les femmes sont totalement évincées puisqu’elles n’ont pas le droit d’y appartenir. Comble de l’humiliation, elles qui participèrent activement à la création de tous les rouages et techniques du cinéma, furent contraintes d’enseigner leurs connaissances aux nouveaux venus, pour qu’ils puissent faire leur travail à leur place ! Elles relisent également les nouveaux scripts et deviennent formatrices pour les réalisateurs, techniciens et acteurs fraichement arrivés de la côte est. Le seul endroit vers lequel elles sont poussées, c’est devant la caméra, pour devenir de véritables icônes sexuelles.

La Grande Dépression aux États-Unis

Un XXe siècle laborieux pour la parité dans la réalisation

Des années 1930 aux années 1980, la réalisation est devenu un monopole masculin. On ne compte que deux réalisatrices : Dorothy Arzner et Ida Lupino. Aujourd’hui encore il existe une réelle ségrégation : si 50% de femmes sortent des écoles de cinéma, seulement 20% d’entre elles participeront à la réalisation d’au moins un film. Selon Margaux Destray, journaliste de Madame Figaro, seulement 3% des réalisateurs sont des femmes aujourd’hui aux États-Unis et  leur salaire est inférieur de 42% en moyenne à celui des hommes de la même profession. De plus, elles sont poussées à aller vers le cinéma indépendant (seulement 9% des femmes réalisatrices font des films « mainstream »), ont moins de budget que les hommes et sont beaucoup moins souvent récompensées pour leur travail. Effectivement, la première femme primée aux oscars pour la meilleure réalisation est Kathryn Bigelow pour Démineurs en 2010, soit 81 ans après la création du prix en 1929 ! En 2018, elles n’étaient que trois à entrer en compétition au festival de Cannes.

La cinéaste Ally Acker explique « l’histoire est écrite par les vainqueurs et dans cette histoire, ce furent les hommes ». Mais l’histoire est loin d’être terminée ! Les chiffres tendent vers le progrès : entre 2006 et 2014 le nombre de femmes employées dans le cinéma augmente de 20% en France, le festival de Cannes compte treize femmes en compétition toutes catégories confondues en 2019. Les femmes – et les hommes ! – s’engagent pour une plus grande reconnaissance de celles qui ont façonné l’histoire du grand écran. Affaire à suivre donc…

Lisa Behot

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