“Les Chevaliers blancs” ou le fantasme du sauveur
Les Chevaliers blancs De Joachim Lafosse Avec Vincent Lindon, Louise Bourgoin, Valérie Donzelli et Reda Kateb Durée : 1h52 |
Sortie le 20 janvier 2016 Largement inspiré de l’affaire polémique de l’Arche de Zoé, Les Chevaliers blancs remet en question le concept toujours très actuel de devoir d’ingérence en le confrontant au problème de la responsabilité. Le film, bien qu’efficace, souffre un peu de sa dimension pamphlétaire exacerbée. “L’enfer est pavé de bonnes intentions”, dit le proverbe. Les Chevaliers blancs, relecture cinématographique de l’affaire de l’Arche de Zoé, qui avait défrayé la chronique en 2007, aurait pu en faire sa punchline. Car de bonnes intentions, les protagonistes du film, ces fameux “chevaliers blancs” que le titre lui-même dénonce, n’en manquent pas. Sauver des orphelins de guerre, leur leitmotiv est juste, ils n’en doutent pas. Puisque leur but est de faire le bien, la fin justifie les moyens, quitte à s’enfoncer un peu plus dans le mensonge. Jacques Arnault, le chef de l’ONG Move for Kids, pompier volontaire, a convaincu une équipe de médecins et de pompiers de partir avec lui dans un pays d’Afrique en proie à la guerre civile mener une vaste opération d’exfiltration de 300 enfants devant être adoptés en France. Mais dès le début, l’opération, mal préparée, se heurte aux contraintes imposées par le mensonge qui lui sert de base et à l’avidité de chefs de village grassement payés pour trouver des enfants abandonnés. En effet, le projet d’exfiltration, totalement illégal, est dissimulé derrière un calamiteux bobard, la petite équipe prétendant vouloir installer un orphelinat pour soigner et éduquer les enfants de moins de 5 ans ayant perdu leurs parents. Très vite, il apparaît clairement que les chefs de clan ne s’intéressent qu’à l’argent qu’ils reçoivent pour fournir des enfants et que les parents cherchent par n’importe quel moyen à mettre à l’abri leurs enfants dans le camp tenu par ces Occidentaux qui prétendent vouloir les éduquer. Mais alors que les premiers questionnements éthiques émergent, ce sont les ego qui s’affrontent et font monter les tensions. L’équipe, un temps apaisée par l’arrivée des premiers “orphelins”, se divise à mesure que l’évidence du mensonge sur leurs origines s’impose, mais Jacques Arnault et Laura, sa compagne, s’accrochent à leur credo : “on va les sauver, ce qu’on fait est juste”. À ce titre, le personnage le plus ambigu de ce pamphlet cinématographique est sans doute celui de Françoise, la journaliste interprétée par Valérie Donzelli. Au début observatrice impartiale, elle se voit sans cesse se poser la question de sa responsabilité. Se plaçant systématiquement à l’écart des conflits internes à l’organisation, elle finit par s’en faire complice lorsqu’elle cède à l’émotion provoquée par l’impossibilité de venir en aide à un enfant trop âgé, pour lequel elle se prend d’affection. Pourtant, quand tout s’effondrera, elle tentera de nier son implication, criant “je ne suis pas avec eux, je suis journaliste !”, tentant de se défausser à l’ultime minute. C’est ce moment de basculement qui se révèle le point le plus intéressant d’un film qui souffre quelque peu de son engagement à charge. L’interprétation de Vincent Lindon, savamment mesurée, ne peut en effet compenser les lourdeurs d’une réalisation dont l’entreprise de dénonciation est un peu trop flagrante. Les Chevaliers blancs n’en reste pas moins efficace, soulevant plus sûrement l’indignation dans des scènes où les personnages révèlent malgré eux leur inconséquence. Ainsi cette interview durant la réunion de vérification des dossiers des soi-disant orphelins, lors de laquelle la journaliste fait remarquer que le choc serait rude pour les familles accueillantes françaises si on leur annonçait qu’on leur retire leurs protégés après s’être aperçus qu’ils avaient en fait des parents bien vivants. “Il ne faut pas oublier que les familles ne sont pas adoptantes tout de suite”, répond tranquillement Laura. “Ce sont d’abord de simples familles d’accueil. Ça laisse le temps pour d’éventuelles réclamations”, déclare-t-elle comme si elle évoquait les conditions de garantie du service après-vente de produits de consommation courante. Aussi, bien qu’on puisse reprocher au film un certain manque de subtilité dans son argumentation, Les Chevaliers blancs constitue une intéressante et pertinente réflexion sur les thèmes extrêmement forts et malheureusement toujours actuels du devoir d’ingérence et de la responsabilité. Raphaëlle Chargois [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=N5nvxDEqX0Y[/embedyt] [Photos © 2015, Fabrizio Maltese / Versus Productions /Les Films du Worso] |
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