Les Adieux à la Reine – film de Benoit Jacquot
14 juillet 1789. La jeune Sidonie Laborde s’éveille en sursaut dans sa petite mansarde. La chaleur estivale est étouffante, ses bras dévorés par les moustiques la grattent. Il lui faut pourtant se presser. Ce château aux sombres corridors, aux lustres sinistres, ces appartements insalubres, est-ce bien Versailles ? Sidonie court et trébuche : tout paraît lugubre, si peu affriolant. Et puis soudain, la voici escortée jusqu’à sa porte. Alors tout resplendit ; voici la reine, Marie-Antoinette, en tenue de nuit encore, qui soigne les plaies de la frêle Sidonie, chargée de lui prodiguer des conseils de lecture ; qui rêvasse à des dahlias brodés ; qui virevolte. Sidonie est fascinée, emportée.
Mais alors que la journée avance, d’étranges rumeurs ébranlent la monotonie de la vie au château. Ce n’est d’abord qu’un mot qui revient sur toutes les lèvres : « Bastille ». Et puis des listes circulent, qui exigent des têtes. Dans la panique qui assaille Versailles, la jeune lectrice ne pense qu’à sa chère Reine…
Ainsi Les Adieux à la Reine, c’est tout à la fois l’histoire d’un monde qui s’effondre et de fascinations indicibles. Celle de Sidonie pour la Reine ; celle de Marie-Antoinette pour la duchesse Gabrielle de Polignac. Des amours subtiles, des passions inavouées, flamboyantes malgré le secret. Un bal des désirs que Benoit Jacquot filme avec une grâce sans pareille, sa caméra oscillant au rythme des pas maladroits de sa fragile héroïne ; s’égarant dans les alcôves où tentent de s’épanouir de fulgurantes liaisons ; jouant sur la focale pour montrer l’errance des cœurs et la panique des corps dans les lumières vacillantes de la Cour gagnée par le trouble. Comment ne pas ressentir l’émoi de cette jeune fille lorsqu’elle fuit éperdument vers sa royale idole à travers la pénombre des couloirs, où les flammes des bougies jettent leurs lueurs blafardes sur les Nobles en déroute ? Comment ne pas saisir cet effroi de l’innocence qui s’achève lorsque l’idole se révèle cruelle ; lorsque sa séduction ne s’exerce que pour exiger le plus terrible des sacrifices ?
Les corps se frôlent, se touchent, s’admirent : le cinéaste filme les chairs, sublimes dans l’obscurité des nuits étouffantes de juillet, jusque dans leurs failles ; il scrute les étoffes, les broderies, les apparats pour mieux révéler ce qu’ils masquent de troubles, de sentiments confus, d’angoisses sourdes. Dans le simple abandon de sa perruque poudrée, dans son agacement face à des bracelets difficiles à enlever, il dévoile le désarroi de la Reine qui s’affirme face à la crise qui abat son château depuis longtemps gangréné : dans un regard, dans la façon dont les tissus des robes se froissent, dont son bras enserre la taille de la Polignac, il suggère une passion d’autant plus bouleversante qu’elle est ambiguë.
Benoit Jacquot dit avoir songé au naufrage du Titanic en réalisant l’adaptation de ce roman que Chantal Thomas explique avoir écrit pendant, après, et sous l’influence des événements du 11 septembre 2001. Ainsi, la prise de la Bastille, la chute de Versailles, événements fondateurs de l’histoire républicaine française, deviennent les symboles plus frappants encore des sociétés qui s’écroulent, des régimes renversés. En cette époque de crise, quelques mois après les mouvements qu’on a regroupés sous l’appellation des « révolutions arabes » et qui ont vus détrônés quelques fameux dictateurs, Les Adieux à la Reine revêt une valeur à la fois résolument contemporaine et potentiellement prémonitoire qui impressionne fortement. Et l’on se laisse d’autant plus facilement happer que les actrices qui le portent sont aussi fascinantes que leurs personnages. Léa Seydoux, toute en fragilité et en candeur semble renvoyer à Virginie Ledoyen, ici, froide icône à l’aura charnelle, l’écho de ce qu’elle fut à ses propres débuts sous la caméra du même Benoit Jacquot, lorsqu’elle était pour lui Marianne, l’héroïne de Marivaux, ou La Fille Seule. Ce passage de relais est un beau clin d’œil cinéphile, ainsi que la promesse d’une belle carrière pour Léa Seydoux, qui depuis La Belle Personne ne cesse de s’affirmer comme l’un des jeunes talents à suivre du cinéma français. Diane Krüger trouve là une possibilité d’explorer une nouvelle facette de son jeu d’actrice qui lui sied à merveille. Les seconds rôles ne sont pas en reste, avec la toujours pétillante Julie-Marie Parmentier, de la Comédie Française, en soubrette ; et Xavier Beauvois, qui compose un Louis XVI étonnant, d’une façon rarement vue au cinéma.
Sans doute l’un des plus beaux films de l’année sur les crises sociales, qui corrompent jusqu’au sentiment amoureux, jusqu’au battement des cœurs.
Raphaëlle Chargois
A découvrir sur Artistik Rezo :
– l’interview de Benoit Jacquot
– les films à voir en 2012
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Lumières de la presse étrangère 2013 (18 janvier)
- Nominations : Meilleur film et Meilleur scénario
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Berlinale 2012 (du 9 au 19 février)
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Les Adieux à la Reine
D’après le roman de Chantal Thomas, Les Adieux à la Reine, éditions du Seuil.
Avec Léa Seydoux, Diane Krüger, Virginie Ledoyen, Julie-Marie Parmentier de la Comédie Française, Xavier Beauvois, Noémie Lvovsky…
Durée : 100 min.
Sortie le 21 mars 2012
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