L’épine dans le coeur – Michel Gondry
Si juste, si joyeux, si rugueux, si tendre. L’épine dans le cœur, documentaire a priori mineur – à la façon d’une pause, d’un goûter, d’un 4 heures – dans la filmographie épatante d’invention de Michel Gondry, est bien mieux que cela. Évidemment. Une sorte de tragicomédie, fugueuse et cévenole d’abord, mais poignante et vivifiante surtout. Jusque dans sa modestie formelle, puisqu’elle épouse idéalement son sujet et son propos.
En mettant sa caméra et ses pas, “bricolo-maladroits”, dans la foulée, pourtant solide et volontaire, de sa tante Suzette, instit’ à la retraite dans le Gard, le cinéaste donne à voir un itinéraire singulier bien sûr, une histoire très intime aussi, mais qui, tous deux, ne cessent de fouiller des vérités universelles. La transmission, ses échecs, ses succès. La famille, ses élans, ses regrets, ses secrets… Rien de moins, au travers de ce beau portrait de femme de devoir, au sens moral comme au sens académique du terme ! Il y va donc à tâtons, le neveu un rien intimidé, naviguant à vue dans ces sombres forêts environnantes, là-même où tantine Gondry fit ses classes, de 1952 à 1986… Parce que, derrière ce maquis de pins austères et de souvenirs lumineux (l’arrivée des Harkis, en 1962, par exemple), se nichent de sacrés non-dits ! Peu à peu, attendri et obstiné – un gène familial, peut-être ? – l’auteur de La science des rêves se fait l’accoucheur d’une parole certes souriante et enjouée, mais ô combien pudique et rétive aussi. Voire sévère.
Et c’est alors, irrésistiblement, que les larmes succèdent aux rires… Ponctuée de gestes doux et de regards drus, d’élans poético-humoristiques et de confessions stoïques : la chronique se resserre autour du tandem contrarié formé par Suzette et son vieux fiston (son… “épine dans le coeur“…). A travers cette micro-famille, d’une sincérité et d’une vivacité bouleversantes, résonnent soudain toutes nos errances et toutes nos erreurs. Humaines, tellement humaines ! Une proximité sans doute accentuée par la fameuse “Gondry’s touch”, avec ses micros vaguement dans le cadre, ses voix qui se chevauchent parfois, ses saynettes explicitement reconstituées ou ses plans brouillons. Rarement, sans doute, cette manière de faire quasi-“familiale”, distillant à l’image une douceur farouche, n’a été aussi raccord avec le sujet qui la porte. Et la transporte.
Et l’on n’oubliera pas de sitôt le petit train, en forme de maquette animée, qui, pour mieux ponctuer les chapitres de ce film sinueux, s’en vient régulièrement traverser l’écran, recueillant, dans chacun des bourgs où Suzette a exercé, son lot de souvenirs, de visages, de paroles. Au cœur de cette métaphore itinérante, et de ce jeu tout droit sorti de l’enfance, c’est une grande petite dame bien réelle qui émerge. Et un grand petit film, faussement simple.
Ariane Allard
Sortie en salle le 21 avril
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