Le temps qu’il reste
Les « absents-présents » vivent en Israël. Ils sont 150 000. On leur refuse le droit à la nationalité.
Est-ce pour autant qu’un film ait à ressembler à la mort ? La mort d’une femme, sa mère, que le film impose en victime. Par un processus de repétition adopté par Elia Suleiman, elle nettoie inlassablement le plat de lentilles dont sa soeur fait offrande à son fils, qui, dans un élan burlesque vient lui-même de jeter à la poubelle.
On l’aura compris, Le Temps qu’il reste est largement (pompeusement) autobiographique. Il s’intéresse à la famille du réalisateur. Ces exclus, harcelés par le canon d’un char, par la milice qui surveille leur faits et gestes jusqu’au bénin moment de pêche, qui va aussi jusqu’à l’analyse du plat de boulghour voir s’il n’y a pas de poudre explosive cachée. Les « absents-présents » on en avait peu discuté, ils n’existent pour personne avant Le Temps qu’il reste et Elia Suleiman décide comme un juste retour des choses de parler de ceux de l’envers. Suite à la photographie (compensation de la réalité dans l’imaginaire de l’homme pour Richard Hamilton) prise avec le maire de Nazareth (en tout début de film), le cliché qui apparaît sur l’écran est incorrect. Il s’agit encore de ce burlesque qui est décidement de tous les plans ; Ce cliché montre les musulmans qui étaient alors dos à l’appareil. Les mêmes qui comme Elia et comme les fantômes de sa famille peuvent se demander « Où sommes-nous ? » phrase martelée à bon escient en guise d’introduction.
« Où sommes-nous ? »
Où habite le musulman né dans une Palestine devenue terre d’Israël ? A cela, Elia Suleiman, réalisateur- acteur, mine de rien planquer à l’arrière d’un taxi répond par un silence, signe d’approbabation. Oui, où habite t-il et où doit-il vivre ? Il ne décrochera du reste pas un mot de plus dans le film, préférant aux mots un regard de chien battu, lourd de sens. Il se pose en martyre. Il n’est pas omniprésent, puisque les épisodes du film, suivant strictement la chronologie, ne le montrent pas, puis le montrent enfant, adolescent. C’est seulement dans la seconde partie qu’il apparaît. Pourtant, son malaise ne quitte jamais le film. Avec des plans frontaux où s’insère à l’intérieur du cadre une vérité plutôt que la réalité, Elia Suleiman opte pour la suggestion. La manie qu’a son voisin à s’asperger systématiquement d’essence, la folie qui saisit le passant saluant à tire-larigot chaque fois qu’il passe devant ce mystique café de Nazareth ou encore la peine qu’inspire la scène du karaoké constituent autant de situations où le désespoir, la mélancolie et le vide deviennent perceptibles.
Un film de lutte
Toute la première partie du film est consacrée à la lutte d’un homme. Le père de Suleiman, membre supposé actif de l’opposition. Le film dans son ensemble évoque en tout cas la lutte d’Elia Suleiman à faire reconnaître ces « absents-présents ». Il leur tire un feu d’artifice, à peu de choses près le même que celui qui félicitait le sage Cendrillon dans Un Conte de Noêl (Desplechin, 2008), seul signe de reconnaissance offert à ces anti-héros, qui n’en ont d’ailleurs rien à cirer.
Un peu de philo
« Peut-on faire un film de lutte sans qu’il y ait les processus traditionnels de l’héroïsation ? On en revient à un vieux problème : comment l’histoire en est-elle arrivée à tenir le discours qu’elle tient et à récupérer ce qui s’est passé, sinon par un procédé qui était celui de l’épopée, c’est-à-dire en se racontant comme une histoire de héros ? ». Elia Suleiman offre sa réponse à Michel Foucault. On peut faire un film et lutter pour les victimes, leurs mémoires et les soutenir, parce qu’ils sont encore là et très faibles (la séquence surréealiste, complètement sortie d’un rêve du perchiste qui s’évade). Elia Suleiman fait un film, comme il l’affirme, pour expliquer aux canardeurs palestiniens qu’ils bombardent la terre de leurs ancêtres et que certains de leurs ancêtres sont encore sur cette terre. C’est certainement plus ambitieux que les épopées de Keaton et les entreprises de Mr Hulot, moins drôle, moins réussi, aussi.
Le temps qu’il reste
Film palestinien, 1h45, 2009
Sortie le 12 Août
Réalisé par Elia Sulieman
Avec Elia Sulieman, Saleh Bakri, Yasmine Haj, Leila Muammar
Florent Boucheron
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