Le Dernier Duel a-t-il cédé au “wokisme” et à la “cancel culture” ?
Après Gladiator ou Kingdom of Heaven, le talent de Ridley Scott pour les fresques historico-épiques n’est plus à prouver. Dans ce Dernier Duel, résonance post #MeToo transposée au XIVe siècle, le réalisateur s’est-il laissé aller au politiquement correct comme le laissent entendre certains médias ?
Adapté du roman d’Eric Jager lui-même inspiré de faits réels, Le Dernier Duel : Paris, 29 décembre 1386, le film décrit les faits amenant au dernier duel judiciaire (Le Jugement de Dieu) connu en France. Ce combat oppose le chevalier Jean de Carrouges et l’écuyer Jacques le Gris, deux amis devenus rivaux dans une France ravagée par la Guerre de Cent Ans.
Lorsque Marguerite de Carrouges, la femme du premier accuse le second de l’avoir violée, Jean de Carrouges exige réparation ; s’ensuit alors un duel à mort qui décidera du sort de chacun des protagonistes.
De Black Rain à House of Gucci en passant par Une grande année, Sir Ridley Scott s’est attelé à tous les genres au cours de son abondante filmographie. En revenant à une fresque historique après les décevants Alien: Covenant et Tout l’argent du monde, l’attente était grande.
Une narration atypique
Si les premières images annoncent le duel final, le film revient très vite à la genèse des évènements l’ayant provoqué.
Comme Rashōmon de Kurosawa, le film est séquencé en trois chapitres présentant tour à tour les versions de Jean de Carrouges, Jacques Le Gris et Marguerite de Carrouges.
Dans un premier acte, Jean se voit comme un valeureux chevalier aimant et incompris, aux prises avec un Jacques intrigant dans les hautes sphères. Le deuxième chapitre offre une autre vision aux spectateurs : celle d’un Jean analphabète, rustre et tête brûlée, face à un Jacques fidèle en amitié, instruit et bourreau des cœurs. Le troisième témoignage, celui de Marguerite, renvoie dos à dos ces deux figures masculines par le prisme de son regard : l’un est un violent égocentrique inculte, tandis que l’autre est un ivrogne paillard et oisif.
Ridley Scott au sommet
En termes de mise en scène, le réalisateur est au sommet. Il alterne mise en scène virtuose lors des combats et scènes intimistes d’un classicisme sans fioritures.
Scott a enlevé tout romantisme et tout esprit chevaleresque à ce drame épique : le film est brut, sans concessions. On ressent la lourdeur des armures, le sang, la boue mais aussi le froid, renforcé par une photographie aux tons gris et bleus.
La multiplication des points de vue permet également à Ridley Scott de nous faire apprécier toute sa maestria. Certaines scènes sont ainsi jouées trois fois, avec des différences que le spectateur aura grand plaisir à relever.
Comer à suivre
Jodie Comer est LA révélation du film. Épouse dévouée, victime ou battante humiliée, elle illumine Le Dernier Duel en tenant la dragée haute au reste du casting masculin. Si Adam Driver est toujours aussi charismatique, les deux comparses Matt Damon et Ben Affleck, qui sont aussi co-scénaristes, ont dû prendre bien du plaisir à s’offrir des rôles à contre-emploi. Matt Damon y incarne un mercenaire balafré mono-expressif affublé d’une coupe mulet digne des footballeurs de l’ex-RDA, tandis qu’un Ben Affleck peroxydé campe un Comte Pierre d’Alençon dévergondé.
Wokebuster ?
Matt Damon et Ben Affleck ont co-signé le scénario du film avec Nicole Holofcener. Les deux potes signent ainsi leur première collaboration scénaristique depuis Will Hunting en 1997. Il n’en fallait pas plus pour que quelques mauvaises langues suggèrent qu’il s’agit de leur mea-culpa post Weinstein et affaire #MeToo. Ils ont en effet été accusés à l’époque de connaître les faits et de n’avoir rien dit… Si transposer 600 ans en arrière certaines thématiques modernes peut paraître saugrenu à première vue, il n’en demeure pas moins qu’elles sont essentielles. Consentement, libération de la parole, patriarcat, difficultés des victimes à s’exprimer… le film révèle la place peu enviable de la femme dans la société d’hier et d’aujourd’hui.
Pour moi, ce film ne cède en aucun cas au wokisme ou à un certain révisionnisme historique. Et si pour certains il l’est, alors je suis woke-a-holic !
Et pour ceux qui auraient la mémoire courte, Ridley Scott n’a pas attendu cette nouvelle mode pour réaliser des films féministes comme Thelma et Louise (1991) ou Alien, le huitième passager (1979), dans lequel Ripley était la première héroïne de science-fiction.
Alors on ne boySCOTTe pas RIDLEY !
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