Laura, histoire d’une noire fascination
Laura D’Otto Preminger Avec Gene Tierney, Dana Andrews, Clifton Webb, Vincent Price, Judith Anderson. Durée : 88 min. (1944) Sortie en version restaurée le 9 novembre 2016 |
(1944) Sortie en version restaurée le 9 novembre 2016 C’est une véritable pépite du genre du film noir qui ressort ce mercredi sur les écrans. Une histoire de fascination, d’amour et de mort où resplendit le charme immortel de Gene Tierney, actrice injustement oubliée du cinéma hollywoodien des années 1940. Une réédition à ne pas manquer. “I shall never forget the weekend Laura died. (…) It was the hottest Sunday in my recollection. I felt as if I were the only human being left in New York. For with Laura’s horrible death, I was alone. ” (« Jamais je n’oublierai le weekend de la mort de Laura. (…) De mémoire, c’était le plus chaud dimanche de ma vie. J’avais l’impression d’être le dernier être humain vivant à New York. Car depuis la mort atroce de Laura, j’étais seul. ») Ainsi, au son d’une voix masculine sépulcrale, la caméra glissant parmi les meubles d’un appartement richement décoré, s’ouvre un chef-d’œuvre méconnu d’Otto Preminger, qui consacrait en son temps une jeune actrice d’à peine 24 ans, Gene Tierney. Pourtant, dans ce film qu’elle irradie de grâce face à un Dana Andrews forcément médusé, la belle aux pommettes saillantes joue le rôle d’une absente dont le prénom pourrait tout aussi bien s’écrire « L’Aura » tant elle hante l’écran de sa présence fascinante ; un mythe construit d’abord par la voix du narrateur, Waldo Lydecker. Waldo est un écrivain et critique mondain cynique. De sa voix, de sa plume, il a l’habitude de faire et défaire les réputations, de construire les mythes. Mais Laura, c’est autre chose. Elle est pour lui la plus sublime de ses créations, car, follement épris d’elle, il s’imagine son Pygmalion. L’ennui est qu’il n’est pas le seul à aimer Laura. L’envoûtante défunte laisse derrière elle un petit ami pas trop éploré, une tante jalouse et un portrait, peint « alors que le peintre était amoureux d’elle », forcément. L’inspecteur MacPherson (Dana Andrews, qui retrouvera Gene Tierney dans un Preminger plus tardif, Where The Sidewalk Ends, bêtement traduit Mark Dixon, détective, en 1950) arrive sur les lieux du crime, pensant constater le meurtre d’une « poule ». Mais il se retrouve face au portrait. Là, parmi les objets familiers de la victime, qui tous semblent imprégnés de son charisme, alors qu’il tente de démêler le vrai du faux parmi les témoignages de ses proches et lit son journal intime pour essayer de mieux la connaître, le charme s’opère par-delà la mort. Ainsi, l’Eros et le Thanatos entrant en parfaite symbiose, Mark MacPherson s’éprend lui-aussi de la défunte. L’aura qui transcende la mort de la jeune femme paraît curieuse à décrire et pourtant elle est évidente pour le spectateur, qui, comme MacPherson, boit dès les premières images les paroles du récit de Waldo. Le noir et blanc léché de la photographie, le jeu d’ombres et lumières qui en émane, assez caractéristique de ce genre du film noir si cher au cinéma des années 1940, l’attention portée au moindre détail, la musique mélodieuse et mélancolique composée par David Raskine – suite au départ de sa femme, dit la légende – tout concourt à créer autour du personnage de Laura un mystère fascinant. Et de fait, le suspense ne faiblit jamais. Le scénario manipule le spectateur à sa guise, lui offrant l’un des plus magnifiques twists de l’histoire du cinéma, troublant comme un rêve et si théâtral qu’entre les mains d’un réalisateur moins habile, il eut pu sombrer dans le grotesque. Mais voilà, c’est Otto Preminger qui se trouve derrière la caméra, maintenant à chaque instant l’équilibre fragile de cette noire romance. Gene Tierney, qui incarne Laura, n’aura quant à elle jamais été aussi magnifique que dans ce rôle. Elle est le point de mire de tous les regards, à la fois élégante et fatale, inaccessible objet de tous les désirs, obsédante héroïne tragique dont la malédiction est au fond celles de toutes les créations finissant par surpasser leurs Pygmalions ; celle d’inspirer malgré elles le plus irrépressible et le plus déraisonnable des amours. Raphaëlle Chargois Bande annonce [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=mYYLquxN2zQ[/embedyt] [Crédits Photo ©1944, 20th Century Fox, ©2016 Swashbuckler Films] |
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