L’Art d’Aimer – film d’Emmanuel Mouret
Générique. Les noms défilent, blancs sur fond noir, tandis que retentit le mouvement Poco Allegretto de la 3ème Symphonie de Brahms, musique apparemment sombre puisqu’au cinéma elle évoque le thriller glauque de Jean-Pierre Mocky avec Jane Birkin, Noir Comme le Souvenir (1995). Pourtant, c’est davantage aux films de Woody Allen que fait penser cette très sobre ouverture. Et force est de constater qu’Emmanuel Mouret partage avec le fameux réalisateur à lunettes un goût prononcé pour les intrigues sentimentales à la fois légères et complexes, pour les portraits de personnages aux caractères forts, pour les dialogues ciselés et les situations cocasses.
Néanmoins, dans cette nouvelle fable qui emprunte son titre à Ovide, tout est d’abord histoire de musique. Celle qui résonne dans les esprits quand l’amour surgit dans les cœurs, et que recherche désespérément un compositeur qui n’a jamais aimé (le trop rare Stanislas Mehrar). Chaque histoire d’amour possède la sienne, et à partir de ce postulat initial conté par Philippe Torreton, Emmanuel Mouret œuvre lui-aussi à la retranscription de ces notes en décrivant les marivaudages de plusieurs couples qui se forment, se déforment, se frôlent, s’esquivent, se recomposent.
Quand les uns veulent se prouver qu’il leur est possible d’avoir une liaison sans se détruire, préservant ainsi leur sentiment de liberté ; l’autre invente un ingénieux stratagème pour se substituer au désir de son meilleur ami, incapable d’infidélité et pourtant convaincue de vouloir et de devoir accomplir ainsi le don d’elle-même. La plus drôle de ces anecdotes, toutes malicieusement entrelacées, c’est toutefois celle que vit ce pauvre Achille, tourmenté par les névroses émotionnelles de son accorte voisine. Dans ces rôles respectifs, François Cluzet et Frédérique Bel jouent moins qu’ils ne semblent danser la romance, la valse-hésitation du désir et de la confusion, la relation qui s’improvise au fur et à mesure des rendez-vous manqués et des baisers étourdissants. Sa partition, Cluzet l’interprète en virtuose, comme toujours, confirmant qu’il est l’un des acteurs les plus talentueux du cinéma français actuel. Tour à tour léger, charmant, éperdu, et surtout extrêmement touchant, il est l’un des personnages les plus délicieux de ce film qui se déguste, au fond, comme une friandise acidulée.
Mais chez Mouret, comme chez Woody Allen, la littérature joue aussi son rôle. La référence à Ovide du titre n’affaiblit pas la cinématographie de la trame narrative mais lui fournit un fil conducteur : chaque saynète est ainsi guidée par une petite maxime évoquant un aspect du couple ou de la relation, qui va entraîner des dissonances dans la vie des protagonistes. Astucieusement, Emmanuel Mouret parvient à éviter l’écueil de la simple illustration, en faisant se compléter l’écriture, la parole, la mise en scène – et bien sûr le son. Le registre de langue très soutenu, ce phrasé très particulier qui lui est propre, participe à la fois des aspects littéraires et de la musicalité du film, lui conférant cette délicatesse surannée qui n’est sans doute pas étrangère au charme qu’il dégage.
Mais quand Woody Allen a l’humour cynique et la littérature analytique, Mouret privilégie toujours la légèreté. Ses personnages ont le cœur et l’intellect vagabonds, et durant cette errance acquièrent une certaine grâce. Emmanuel Mouret signe alors un film rafraîchissant, où le rapport amoureux ne se construit pas dans le jeu de pouvoir brutal faisant de la séduction une arme ; bien plus élégamment il le laisse s’inviter au bal des désirs, où corps et cœurs battent la mesure, cherchant l’accord qui leur permettra tout simplement de se laisser porter par la mélopée.
Raphaëlle Chargois
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L’Art d’Aimer
Film d’Emmanuel Mouret
Avec Stanislas Merhar, François Cluzet, Frédérique Bel, Ariane Ascaride, Philippe Magnan, Julie Depardieu, Pascale Arbillot, Laurent Stocker, et Judith Godrèche
Sortie le 23 novembre 2011
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