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Laetitia Eïdo : “Par mon jeu, je cherche à montrer toute la complexité humaine”

Émilie Couturier 6 juillet 2020
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© Ogata Ogata

Actrice et chanteuse franco-libanaise, Laetitia Eïdo, connue notamment grâce à la série Israélienne Fauda diffusée sur Netflix, a accepté de répondre à nos questions. Zoom sur une artiste aux multiples facettes et dont il reste encore beaucoup à découvrir.

Vous aimez les mots, la musique, vous dessinez. En quoi cela vous aide-t-il dans votre jeu de comédienne ?

Pour moi tout est parti de l’envie d’écrire les mots, puis par le jeu de comédienne de les dire. Avant d’être actrice, je voulais être écrivain. Je reviens d’ailleurs peu à peu à l’écriture, qui est toujours en projet. En parallèle, j’ai étudié la technique Meisner, qui aide énormément dans le jeu d’acteur. C’est une technique américaine qui existe depuis une quinzaine d’années et qui se base uniquement sur les mots, ce qui crée une relation de confiance avec le texte ainsi qu’avec l’auteur, et permet ainsi au comédien de se concentrer sur l’apprentissage des mots et de les retransmettre de manière la plus sincère possible. On essaie donc de ne pas de se mettre nous en travers du chemin, et de juste laisser les mots glisser et être au coeur du jeu. J’interprète cette technique comme une poésie, et c’est comme cela que je l’aborde.

Terrence Malik est considéré comme l’un des plus grands cinéastes. Comment vous a-t-il contacté ? Quelle a été votre réaction quand vous avez appris que vous alliez tourner avec lui ?

Je n’ai pas le droit d’en parler mais, j’ai été très heureuse quand la directrice de casting m’a contacté parce qu’elle m’a repérée après avoir vu la série Fauda dans laquelle je joue sur Netflix. Cette série m’a ouverte beaucoup de portes dont ce film, donc oui, j’étais vraiment aux anges !

Des projets que vous deviez réaliser se sont annulés, comme le Festival d’Avignon, où vous deviez monter sur scène. En France comme à l’étranger, quels sont vos projets futurs ?  

Je suis actuellement sur le film de Bernard Campan et Alexandre Jolien Presque, puis je vais également tourner dans le prochain film d’Yvan Attal Les choses Humaines d’après le livre de Karine Tuil. 

Le spectacle que je devais jouer au Festival d’Avignon a donc été annulé, mais je vais le reprendre en septembre. C’est un seul en scène qui se nomme Le vent d’Arménie et qui raconte le destin d’une femme qui a survécu au génocide arménien, et dont elle explique sa traversée dans un carnet. Je joue sa petite fille qui retrouve ce carnet et qui apprend de nombreuses choses qu’elle ignorait. C’est un spectacle plutôt joyeux et qui se penche avant tout sur le lien entre les générations et ce qu’elles ont pu transmettre consciemment ou inconsciemment. Puis l’autre pièce que je vais reprendre fin septembre, au coté de Fred Testot, est l’adaptation du cinquième roman de Mathias Malzieu, le chanteur du groupe Dionysos, Le journal d’un vampire en pyjama mise en scène par Yann Samuell et qui raconte sa greffe de moelle osseuse et de son combat contre la mort.

© David Zimand

Le confinement nous a tous un peu amené à faire une introspection sur nous-même. En quoi cette épreuve a-t-elle changé votre perception en tant qu’artiste ? Vous a-t-elle donné envie de réaliser des projets auxquels vous n’aviez pas pensé avant ? 

Je me suis amusée à faire des petites vidéos à partir de poèmes que j’avais écrit. J’ai aussi écrit des textes courts qui sont entre le poème et la chanson, et je suis en train de créer une sorte de clip pour les accompagner. Ca m’a donc beaucoup inspirée de me dire que je pouvais facilement donner naissance à des formes qui allient les mots et l’image et qui soient vraiment de ma propre création, ce qui me plait beaucoup. Et d’ailleurs sur la pièce de théâtre Le Vent d’Arménie, je vais créer, comme je dessine aussi, les dessins qui serviront d’animations et qu’on transformera en vidéos animées pour représenter des scènes du génocide arménien. J’ai beaucoup de projets en parallèle, c’est parfois compliqué de tout parler en même temps, mais je travaille aussi sur des projets performatifs et des installations, qui tournent autour du thème de la peau et migration, et l’autre autour de l’enfantement.

Vous avez joué dans 8 langues différentes, comment avez-vous été amenée à jouer dans autant de langues, et comment vous êtes-vous adaptée à chaque fois ? 

J’ai joué dans Le destin de Rome qui est une docufiction Arte, et ou j’interprétais Cléopatre en Grec et en Latin. Tous les acteurs de cette docufiction ont du apprendre le latin et le grec parce qu’à la cour d’Egypte on parlait grec et qu’avec les romains on parlait latin. À partir de ce rôle je me suis dit, si je suis capable de jouer en latin et en grec, dans quelle langue au final est-ce impossible ? Je suis arrivée à la conclusion que dans aucune, donc je me suis dit qu’à partir du moment ou on travaille, on peut y arriver. J’ai donc après ça joué dans un court métrage en algérois, et je n’avais jamais entendu ce langage là, parce que l’arabe libanais que j’ai un peu entendu étant petite, était complètement différent. Ensuite, j’ai continué avec de l’espagnol, de l’anglais évidemment, puis du berbère, du kabil qui est très dur à apprendre, j’ai d’ailleurs eu une coach pendant plusieurs mois, mais sinon j’apprenais grâce à des enregistrements du texte que je réécrivais en phonétique, puis c’était du par cœur jusqu’à épuisement !
Là, je prévois de travailler en français et principalement en Europe et aux États-Unis dans des langues plus faciles. 

Est-ce qu’aujourd’hui ça vous a aidé à parler différentes langues avec plus de facilité ou c’était seulement de l’apprentissage intensif et éphémère ? 

Forcément on récupère des choses qu’on garde, mais ça aide avant tout à comprendre la culture de chaque pays, parce qu’il se passe beaucoup de choses par le langage, et pour moi c’est presque l’une des choses les plus intéressantes que j’ai vécu d’apprendre mes textes en différentes langues puisque ça m’a permise d’avoir une familiarité avec ces cultures là, et donc d’en apprendre plus sur les gens de ces pays, et c’est ça qui me plaît le plus.

Comme on l’a vu vous voyagez beaucoup et tournez à l’étranger. Par cette vision multiculturaliste, avez-vous vu une évolution du rôle des femmes au cinéma et dans nos sociétés ?

Depuis quelques années, on voit dans tous les scriptes qu’on lit, que les femmes deviennent beaucoup plus des héroïnes des projets, où l’on est plus axé sur des personnages féminins forts, et ça me réjouit, parce que pendant très longtemps ce n’était pas le cas, et c’est important de montrer qu’il y aussi des personnages de femmes suffisamment intéressantes pour être des héroïnes de projet et pas toujours celle qui sert la soupe au héros. Moi à titre personnel, j’ai toujours essayé de faire évoluer mes personnages vers la réalité ou du moins vers une réalité, c’est à dire que par exemple dans Fauda, j’ai fait en sorte que mon personnage soit une femme indépendante et qu’elle ne s’habille pas dans les clichés qu’on imagine. Certaines femmes au Moyen-Orient sont très libérées, et ne sont pas forcement religieuses, je souhaitais montrer ça, parce que ça existe aussi, et que ce n’est pas ce qu’on a tendance à montrer. Et d’ailleurs dans un autre film, qui s’appelle Holy Air, que j’ai adoré, je jouais une chrétienne palestinienne qui enseignait l’éducation sexuelle, et on me disait souvent que c’était un mélange un peu original, alors que non, elle existe cette femme, je l’ai rencontrée. On a trop tendance à vouloir simplifier les choses, et moi ça me tient à cœur de montrer la complexité humaine à travers certains de mes personnages.

Propos recueillis par Émilie Couturier

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