L’Adieu aux armes – Un film de Frank Borzage
Hasard du calendrier ? En ce centenaire de l’armistice de la première guerre mondiale, Théâtre du Temple Distribution ressort L’Adieu aux armes, de Frank Borzage, dans une version restaurée. L’occasion de (re)découvrir un cinéaste un peu oublié.
Dialectique de l’(in)fidélité
La première sortie de L’Adieu aux armes remonte à 1932 : les États-Unis sont sortis de la guerre depuis quatorze ans, mais celle-ci est encore très présente dans l’imaginaire populaire. Borzage décide alors d’adapter le roman d’Ernest Hemingway, L’Adieu aux armes, publié en 1929. Le scénario est fidèle à l’histoire : les amours d’un soldat et d’une infirmière.
Pourtant, l’écrivain américain se sent floué : le film trahirait son style simple et distancié, développant avec outrance le comique burlesque et la sensualité de ses acteurs phares, Gary Cooper et Helen Hayes. Mais, c’est précisément l’immixtion de la volupté et du comique dans cet univers guerrier qui nous séduit aujourd’hui, comme si la seule façon, au cinéma, de rendre justice à une œuvre littéraire, était, d’une façon ou d’une autre, de lui être infidèle.
Un adieu au romanesque ?
Le film se pose d’ailleurs comme un jeu avec le romanesque de la guerre : le personnage joué par Helen Hayes s’est engagé comme infirmière volontaire en s’imaginant soigner amoureusement son fiancé de l’époque, qui aurait été blessé légèrement au front ou à l’épaule. Las ! Il fut littéralement déchiqueté par un obus, ne laissant à son amoureuse rien à chérir ni guérir. Quant aux hommes, ils ne trouvent à séduire que des filles de joie, dans ce monde dur et rude où les infirmières sont un peu trop prudes. Ou comment l’humour rend compte du désarroi de la guerre.
Une exception notable : l’infirmière campée par Helen Hayes, seule femme du film à n’être ni prude ni facile. Comment le soldat Cooper pourrait-il ne pas être séduit ? Il ne reste plus alors à ces deux personnages qu’à développer leur propre langage amoureux, puisque, dans cet univers en ruines, on ne trouve nulle fleur à offrir pour faire sa cour.
Loin de renoncer à tout romanesque, le réalisateur crée un langage cinématographique qui parvient à marier la trivialité de la guerre et la passion amoureuse. Ainsi en est-il du mariage des héros, célébré secrètement par un prêtre militaire, et, si la mariée est bien en blanc, c’est grâce à son uniforme d’infirmière.
Un feu d’artifice d’émotions
Avec ses explosions et ses otages, la seconde partie du film semble plus sombre. Toutefois, elle parvient à condenser les principaux genres cinématographiques en vogue : le film d’aventures (avec l’évasion de Gary Cooper), le film romantique (avec ses scènes de baiser langoureux), et le film comique (avec les jeux de mots et les quiproquos). Le spectateur passe ainsi par toutes les émotions accessibles au cinéma : le rire, le suspense et la peur, la tristesse et le bonheur. Le passage de l’une à l’autre se fait tout en douceur et en subtilité, sans jamais rompre l’unité de l’œuvre.
Enfin, la leçon du film est volontairement ambiguë, oscillant entre mélodrame et parodie : peut-on vivre sa passion dans un monde régi par la guerre et les bonnes mœurs ? Une fin ouverte pour un film tout en nuances, qui nous invite à écrire la dernière page de ce roman d’amour et de guerre.
Julia Wahl
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