La Terre outragée – film de Michale Boganim
Le 26 août 1986, une explosion se produit à la centrale nucléaire de Tchernobyl. Toutes les villes et villages à proximité doivent être évacués. Dix ans plus tard, Pripiat, une de ces cités abandonnées, faisant désormais partie de la zone d’exclusion de 30 km, est devenue le théâtre d’un bien étrange ballet : elle est désormais visitée dans le cadre des « Tchernobyl Tours », organisés par des guides spécialisés comme Anya, jeune veuve et personnage pivot du film. Tout comme elle, deux autres individus, anciens habitants de Pripiat, hantent les lieux du drame : Valery, adolescent à la recherche de son père disparu, et Nicolaï, garde-forestier qui stoïquement, cultive son verger dans un sol désormais radioactif. Tous les trois parviendront-ils à se reconstruire, et de quelle manière ?
Par une ironie de l’histoire, « Tchernobyl » signifie en ukrainien, « absinthe » ou « herbe de l’oubli ». Or, il n’en est rien pour tous les refugiés nucléaires comme Anya, Valery ou Nicolaï. La première est à jamais traumatisée depuis le décès de Piotr, son fiancé réquisitionné le jour de leur mariage pour éteindre l’incendie de la centrale. Valery voue sa jeune existence à la recherche désespérée de son père, Alexaï, ingénieur à Tchernobyl, devenu fou pour avoir été condamné au silence par les autorités. Quant à Nicolaï, le vieux garde-forestier, il s’obstine à récolter les fruits du sol contaminé, pour conjurer la malédiction.
Comme des aimants, tous sont attirés par leur terre en dépit des risques sanitaires. Avec pour certains, à l’instar d’Anya, l’incapacité de se tourner vers l’avenir et une loyauté indéfectible, presque morbide, au lieu. La promesse d’un nouveau départ en France, avec son petit ami français, est contrebalancée par son amour pour un ukrainien, ancien habitant de Pripiat. Oser partir vers un ailleurs, sans doute plus confortable matériellement, équivaudrait à trahir cette terre si meurtrie.
Le choix d’Olga Kurylenko, elle-même d’origine ukrainienne, pour interpréter ce personnage tout en ambivalence, constitue un défi relevé avec brio. Olga Kurylenko est Anya. Elle s’est appropriée le rôle avec justesse et vérité. Que ce soit dans l’interprétation d’une Anya heureuse et insouciante d’avant la catastrophe, ou bien d’une Anya, sombre, fébrile, fragile, dix ans plus tard, on oublie l’ex-James Bond girl de Quantum of solace.
Pour narrer ces drames intimes, la mise en scène de Michale Boganim porte indubitablement sa patte de documentariste. Certes, dans la première partie du film, la vie précédant l’explosion ressemble à un Eden ensoleillé où les hommes vivent en harmonie avec une nature généreuse et bucolique. Mais dès qu’il s’agit de dépeindre l’après désastre nucléaire, le souci de retranscrire avec fidélité les faits l’emporte sur les tentations du glauque ou du mélodrame. Pas de souffle lyrique, juste une épure et une sobriété qui dominent les plans. Le mal silencieux est perceptible dans ces images de poissons flottant ventre à l’air, d’animaux nerveux face à l’imminence du danger, de feuilles d’arbres brûlées ou bien de maisons abandonnées aux quatre vents. La maladie d’Anya, séquelle incontestable d’une irradiation, est suggérée de façon ténue par ses nombreuses perruques et sa perte de cheveux.
La force de ce film n’est pas tant dans la manière si mesurée, pudique, de montrer les conséquences sanitaires, économiques et écologiques de l’accident nucléaire, mais dans le regard plein d’empathie que pose la cinéaste sur la vraie blessure intime de tous les rescapés de Tchernobyl : le traumatisme du départ, la douleur de l’exil forcé, qui parfois pour certains empêchent de réinventer leur vie.
Un an après la catastrophe nucléaire de Fukushima au Japon, La terre outragée rappelle avec une acuité douloureuse les conséquences de ce genre de cataclysme : la nature ravagée, les destins individuels brisés, et surtout la persistance de ce mal invisible qu’est la radioactivité. Et si le sort de la ville fantôme de Pripiat constitue le meilleur des réquisitoires contre le nucléaire, le film de Michale Boganim est avant tout un magnifique chant sur le déracinement et le besoin viscéral de revenir sur la terre des ancêtres.
Roxane Ghislaine Pierre
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Festival International du Film d’Environnement de Paris 2012 (du 7 au 14 février)
- Prix du public
Premiers plans d’Angers 2012(du 20 au 29 janvier)
- 1 prix : Prix du public – Long métrage européen
- Nominations : Grand Prix du Jury – Long métrage européen, Prix Mademoiselle Ladubay – Long métrage européen ou français, Prix Jean Carmet – Long métrage européen ou français
Festival International du Film de Marrakech 2011 (du 2 au 10 décembre)
- Nominations : Etoile d’Or / Grand Prix, Prix du Jury, Prix de la mise en scène
Festival international du film de Tokyo 2011 (du 22 au 30 octobre)
- Nominations : Tokyo Sakura Grand Prix, Prix spécial du jury, Prix du meilleur réalisateur, Prix de la meilleure contribution artistique et Prix du public
Festival International du Film de Toronto 2011 (du 8 au 18 septembre)
- Nomination : Cinéma contemporain international
Mostra de Venise 2011 (du 31 août au 10 septembre)
- La Semaine de la Critique
La Terre outragée
De Michale Boganim
Avec Olga Kurylenko (Anya), Andrzej Chira (Alexaï), Vladyslav Akulyonok (Nicolaï), Serguei Strelnikov (Piotr), lya Iosifov (Valery 16 ans) et Natalya Bartyeva (la mère d’Anya)
Durée : 108 min.
Sortie le 28 mars 2012
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