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“La peau douce” : troublant, haletant, tragique

La peau douce est un film réalisé en 1964 par François Truffaut et raconte une histoire d’amour, celle que le hasard fait naître, celle des amants qui enlacent les joies et chagrins du temps. 

Pierre Lachenay est un écrivain à succès, directeur de la revue littéraire Ratures, et spécialiste de Balzac. Il est marié à Franca avec qui il a une fille, Sabine. À l’occasion d’une conférence à Lisbonne, il rencontre Nicole, une jeune hôtesse de l’air de 25 ans. Débute alors une liaison, entre sentiment et culpabilité ; Truffaut construit une histoire d’adultère dont la complexité perdure encore aujourd’hui.

La rencontre des amants 

La première rencontre dans un avion, et la deuxième, fortuite, dans un hôtel, celle à laquelle on s’y attend moins. Les premiers regards, les clés confondues involontairement, le téléphone qui devient le premier élément de l’aventure passionnelle : rien n’échappe à la caméra qui joue malicieusement avec la durée de la montée des étages lors de la scène de l’ascenseur.

C’est avec une habilité et une élégance remarquable que le réalisateur saisit les détails des scènes d’amour, et quelques traits poétiques subsistent par les gros plans sur les mains et sur certaines parties du corps, la bouche, les cuisses et les gestes tendres, dont les caresses.

La relation adultérine enferme les personnages dans un schéma dont ils ne peuvent échapper : aimer deux personnes c’est se diviser, ne plus être totalement présent. Après une semaine à Reims, les deux amants reviennent sur Paris et Pierre ne sait que faire : construire une nouvelle vie en laissant derrière lui l’ancienne ou rester dans cet entre- deux ?

La peau douce : le reflet d’un déséquilibre dans la vie d’un homme bourgeois bien ordonné 

Pierre Lachenay, incarné par Jean Desailly, est un homme surpris par ses propres sentiments face à l’amante Nicole, jouée par Françoise Dorléac. Une femme sensuelle, spontanée et pleine de légèreté, qui hésite entre son amour et sa liberté. L’écrivain apparaît pathétique et complètement dépassé par la situation qui le tourmente, lui qui est pourtant spécialiste de Balzac et des grands romanciers français, fin analyste des passions amoureuses.

Le film est à la limite d’un documentaire sur la bourgeoisie parisienne des années 60, où un homme prêt à divorcer est une situation inédite et presque irréelle. Pierre Lachenay avait maintenu le confort du mariage, et était soucieux des conventions, surtout lors des dîners entre couples. Le mari prend de grandes précautions afin que personne ne devine sa liaison – ni ses collaborateurs, ni ses amis, ni bien sûr sa femme.

Ce n’est pas un film moral, c’est un film sur la morale de la bourgeoisie rentrant en conflit avec l’adultère, qui génère des comportements dont l’éducation et les conventions sociales peuvent difficilement en sortir intact.

Truffaut : passion du cinéma et amour des femmes 

Le film comporte de nombreux détails sur l’intimité du corps féminin, la sensualité de la peau et de ses singularités (grains de beauté) et notamment tout ce qui se rapporte aux jambes, aux bas et aux jarretelles.

Chez Truffaut ce sont les femmes qui mènent l’action, elles sont audacieuses, pugnaces, vénéneuses, déterminées et irrésistibles. Franca, l’épouse interprétée par Nelly Benedetti, est notamment une très belle femme italienne, au caractère fougueux, et excessif.

Le principe que Truffaut avait relevé chez Hitchcock : “Filmer les scènes d’amour comme des meurtres, et les meurtres comme des scènes d’amour.”

Au-delà de son sujet, l’adultère, Truffaut filme cette histoire d’amour brève et tendre, comme un drame du quotidien. C’est l’histoire d’une double vie et de l’impasse du couple. Un couple qui s’essouffle, qui ne respire plus, qui s’étouffe mais qui tend à garder l’illusion d’une union heureuse. Par amour, l’écrivain avait pourtant décidé de quitter sa femme, ne pouvant plus supporter d’être loin de Nicole.

Truffaut parvient à donner un suspense haletant à des situations quotidiennes : une amante inaccessible, des moments de risques où chaque personnage est blessé tout en ne pouvant s’empêcher de blesser l’objet de son affection.




Une histoire autobiographique : Truffaut et Morgenstein

Au moment de la réalisation du film, le couple de François Truffaut et de Madeleine Morgenstein s’épuise suite aux liaisons quasi systématique que le metteur en scène entretient avec ses actrices principales. La mort de Lachenay est perçue par le spectateur, comme un châtiment que s’infligerait le réalisateur pour ses propres écarts.

Certaines personnes passent à côté de leur vie, et, emportées par la passion, se risquent au jeu de l’adultère. La peau de l’amante est peut-être douce, mais la chute de Pierre Lachenay lui sera fatale. Incontestablement romantique et tragique, La peau douce respire la sincérité de l’amour, qui révèle des intériorités complexes conduisant à des liens passionnels forts et à d’inévitables conflits. La sensualité, l’amour et la liberté d’un côté, la contrainte et la fatalité de l’autre.

Isabelle Capalbo

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