“La Panthère des neiges” : voyage dans le Tibet sauvage
En hiver 2018, le célèbre photographe animalier Vincent Munier propose à Sylvain Tesson de cesser son agitation le temps de partir en quête de la panthère des neiges. Pendant que l’écrivain prend des notes pour son récit qui conquerra plus de 500 000 lecteurs, la caméra de Marie Amiguet suit discrètement l’expédition. La réalisatrice en tire des images somptueuses des hauts plateaux tibétains, ponctuées de phrases bien senties de Sylvain Tesson. Un documentaire à découvrir au cinéma dès aujourd’hui.
Des tableaux à couper le souffle
Deux hommes emmitouflés dans des tenues de l’armée chinoise traversent des prairies rases, s’attaquent silencieusement à des monceaux de rochers. Ils traquent patiemment dans ce désert le surgissement des bêtes sauvages. Le documentaire oscille entre album encyclopédique et film d’aventure. Son grand mérite réside avant tout dans la captation de véritables tableaux. Marie Amiguet et Vincent Munier jouent avec les silhouettes, les plans généraux étourdissants, les mouvements du vent. La nature se montre grandiose dans les rafales de poussière et les amples ondulations des montagnes. L’homme n’est rien, fouetté par le vent, minuscule dans ces immensités. Les animaux quant à eux, ne grelottent pas sous des tenues de camouflage, ils correspondent pleinement à cette nature sauvage. Ils se dévoilent derrière une crête, à travers des bourrasques de terre, un rideau de neige. Chaque bête, avec sa fourrure, se fond dans son environnement propre. Les images apprennent au spectateur à repérer la présence délicate des animaux comme s’y exercent les explorateurs à l’affût. Les animaux règnent sur ces terres hostiles. Un paysage immémoriel se dessine alors : nomades, bêtes sauvages, steppes gelées.
Le mystère du règne sauvage
Des barhals de l’Himalaya passent au fond de la vallée dans une traînée de poussière, ils cheminent en ligne sur la crête. Munier y voit une écriture. Le photographe détient les clés : dans ces immensités, le spectateur ne voit qu’un désert ; Munier sait y déceler la vie. La caméra montre tout un peuple de yacks, de loups gris, de chat de Pallas, de renards et d’antilopes du Tibet. Les explorateurs s’effacent derrière les visages énigmatiques de ces bêtes. Si les deux hommes savent les trouver, ils ne savent pas leur parler. Les animaux finissent par fuir à notre vue, à l’odeur qui nous colle à la peau. La beauté du film tient à cette évocation furtive. Les bêtes résistent à notre boulimie de contrôle, de communication instantanée. Les yeux luisants d’une panthère sont des portes vers l’incommunicable. La bête se drape de mystère, celui d’une confrontation avec une altérité complète. Les portes restent fermées. Les artistes rêvent à l’union de l’homme et de l’animal, ils projettent cette harmonie dans un âge d’or préhistorique. Mais leur nostalgie s’efface dans la contemplation des derniers êtres sauvages : l’affût est leur réponse. La voie des explorateurs face au drame d’Orphée : comment contempler sans condamner, partir à la rencontre d’un être sans l’attaquer ? Munier et Tesson jettent un regard à la dérobée, s’effacent entre les rochers, renouent avec des instincts sauvages pour lever un petit coin du voile. Devant le mystère de la nature, du silence des cimes et du surgissement des bêtes, Munier et Tesson cherchent, se ploient, attendent religieusement. Soudain, la panthère apparaît. L’émotion des deux explorateurs se communique au spectateur. La panthère tant attendue louvoie sur un piton rocheux. Elle se tient, solitaire, au-dessus des troupeaux de la vallée, au-delà des villes qui la pourchassent :
“Elle portait l’héraldique du paysage tibétain. Son pelage, marqueterie d’or et de bronze, appartenait au jour, à la nuit, au ciel et à la terre.”
Le rythme de la contemplation
S’il a beau ne durer qu’une heure et demie, le film nous apprend la patience. Le catalogue animalier supplante longtemps l’aventure. Le spectateur est accroché lorsque la poursuite de la panthère s’intensifie et scénarise ainsi le déroulé des images. On se réjouit également de découvrir la vie quotidienne des explorateurs sous -18°C, leurs réactions caustiques, ainsi que la fraîcheur d’enfants nomades. La chaleur des moments humains crée un contrepoint au réflexe misanthropique de la petite troupe d’esthètes. La musique planante de Warren Ellis accompagne parfaitement les images, son dépouillement tout comme la rareté de la voix off sont propices à la contemplation pure – on ne peut que regretter que les silences ne soient pas assez assumés, comme lors de l’apparition de la panthère. Les protagonistes parlent peu. Les considérations du livre sur le taoïsme et le non-agir sont épargnées. Dans cette épure ascétique, assister à la naissance pudique des écrits de Sylvain Tesson intéresse autant que de découvrir le travail discret du photographe animalier.
Une écologie poétique
Le film prend le parti de la sensibilisation à la beauté sauvage. Au cœur de la nature, les paroles de Sylvain Tesson rappellent de temps à autre le vacarme des villes. Le grand écart. Le documentaire valorise tout ce que notre modernité rejette : la diversité animale et culturelle face à l’uniformisation globale, l’incertitude et l’attente face à l’assurance et l’immédiateté, l’émerveillement face à la classification scientifique. Les yacks sauvages émergent tout droit de la Préhistoire et la panthère cachée dans les confins devient le symbole de la nature en voie de disparition. Les activistes climatiques ont parfois reproché à Munier son attitude contemplative, le film remonte pourtant à la racine du mal écologique : nos désirs. Les images n’accusent pas le consommateur, elles éveillent à ce qui compte réellement. C’est la seule solution au problème industriel selon les mots de D.H. Lawrence : “apprendre aux gens à vivre et à vivre dans la beauté, sans avoir ce besoin de dépenser” (L’Amant de Lady Chatterley, Livre de Poche p.381). Les protagonistes du film rêvent de l’harmonie avec la nature, ils s’effacent dans son admiration sans borne. Sous la voix de Tesson, la démarche autoritaire des bêtes, leur fier port de tête, leur regard perçant, en font les seigneurs de la nature. Elles nous toisent depuis le haut des crêtes, d’un regard silencieux. Les hommes passent et les pourchassent ; elles, noblement, nous ignorent. Et si le monde n’avait pas été créé pour notre seul regard ? Ou si les confins se tenaient à l’écart pour nourrir d’humilité et de rêve tous les spectateurs.
Le film s’achève sur un petit rouge queue. L’image vient rappeler que les plus simples animaux méritent notre attention, les plus proches aussi pourrait-on ajouter. Devant cet oiseau fragile, Tesson conclut par un cri d’amour : que ces beautés demeurent !
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