La fille la plus heureuse du monde, le premier long-métrage de Radu Jude
Délia, déjà pas très bien dans sa peau et en plein cœur de l’âge ingrat, n’a pas fini de subir mille et unes petites humiliations au cours du tournage publicitaire censé faire l’elle la “fille la plus heureuse du monde”. Affrontement parental, affrontement avec un milieu urbain complètement inconnu où ses rêves se confrontent avec une réalité difficile. L’adolescence, son ingratitude, ses rapports parentaux chaotiques, ses rêves brisés seront abordés ici, en même temps que la problématique courante, mais exacerbée en Roumanie, de la dualité entre la ville et la campagne ou la tradition et la modernité.
Délia veut utiliser sa nouvelle voiture et partir en vacances ; après tout c’est elle qui l’a gagnée. Ses parents veulent la revendre pour ouvrir des chambres d’hôtes ; après tout, c’est pour lui permettre de faire des études… Tout le monde a raison et tout le monde a tort.
Des dialogues bien cernés parviennent à transmettre les difficultés relatives au langage et à la communication, qu’on peut lire en filigrane dans le film, à travers les intérêts qui opposent les différents protagonistes. En filigrane seulement, car l’heure est à la suggestion plus qu’à la démonstration et le parti pris se limite, pudiquement, à se déplacer d’une situation à l’autre. Nous sommes ainsi devant un travail anti-manichéen qui révèle, à travers l’observation, les conflits trompeurs du langage.
Ce film manque cependant de rythme, car malgré une ligne directrice crescendo, on peut noter quelques longueurs qui empêchent une véritable sensation d’aboutissement.
On apprécie en tout cas cette volonté de mettre en valeur l’ordinaire, d’aller chercher la richesse de l’être humain, ses problématiques et ses incertitudes chez des gens ordinaires qui portent pourtant en eux une charge émotionnelle bien réelle. On aime cette poésie toute particulière qui se dégage d’une jupe froissée et défraichie et qui évolue dans la moiteur poussiéreuse d’un tournage médiocre, celle qui s’exprime dans la circulation bruyante de la place de l’Université, ou dans la lumière qui épaule cette journée pas forcément heureuse.
La fille la plus heureuse du monde est le premier long métrage de Radu Jude. On lui pardonnera donc un manque de maturité dans la réalisation, un usage de la suggestion parfois trop passif, des partis pris un peu brut. Mais on ne lui retirera certainement pas la palme du mérite, du talent et de la lucidité. Ni celle de la poésie, qu’il fait surgir de façon éloquente de ses personnages, tout au long du film.
Sophie Thirion.
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