La Crème de la Crème, portrait transgenre de la génération Y.
La Crème de la Crème De Kim Chapiron Avec Alice Isaaz, Thomas Blumenthal, Jean-Baptiste Lafarge et Karim Ait M’Hand Durée : 90 min. Sortie le 2 avril 2014 |
Jeudi 3 avril 2014
A l’occasion de la sortie de La Crème de la Crème, nous avons rencontré Kim Chapiron, son réalisateur, ainsi que trois des jeunes acteurs du film : Alice Isaaz (Kelliah), Thomas Blumenthal (Dan) et Karim Ait M’Hand (Jaffar). Ils reviennent ensemble sur le tournage de La Crème de la Crème et sa vision mi-féérique, mi-acide de la génération Y. D’où est venue l’idée de ce film ? Kim Chapiron : Noé Debré, le co-scénariste du film, qui a dans son entourage pas mal d’amis issus du milieu des grandes écoles et qui s’est beaucoup renseigné, a entendu une sorte de rumeur selon laquelle HEC avait hébergé un réseau d’escort-girls sous couvert d’une association qui se serait appelée « HESexe ». Mais après avoir mené ma petite enquête dans l’école, je me suis aperçu que c’était plutôt un trafic de dvds pornos… L’histoire changeait tout le temps. Partir d’une légende urbaine nous a permis de mettre un vernis de conte de fées sur cette histoire qui au départ est plutôt dure et de l’adoucir ainsi, aussi bien au niveau de l’image que du propos. L’idée était aussi de faire une sorte de campus movie à la française, un genre de film qu’on n’a pas encore trop vu dans le cinéma français. Kim Chapiron : Ce qui m’a intéressé au départ, c’est le traitement de Noé Debré, que j’ai rencontré avec Benjamin Elalouf le producteur. Ils avaient tous les deux commencé à développer un projet qui s’appelait Business School dans lequel on retrouvait déjà la trajectoire des personnages de La Crème, et surtout cette façon de décrire la Génération Y avec honnêteté et précision. Le décor de l’école de commerce, cette école des chiffres, m’amusait et me permettait de faire ressortir plein de traits de caractères de cette génération Y, hyper connectée, digital native et YouPorn qui vit ses premiers émois sexuels avant même de tomber amoureuse. L’école de commerce raconte comment le chaos électronique se mêle au chaos sentimental, et pour moi, c’était donc intéressant de faire sortir des personnages de cinéma d’un décor aussi fort. Quelles ont été les réactions des étudiants que vous avez rencontrés durant les différentes projections en avant-première ? Se reconnaissent-ils dans ce portrait ? Alice Isaaz : J’ai l’impression qu’ils arrivent avec un énorme a priori, mais au final ils ressortent assez satisfaits et se reconnaissent beaucoup dans le film. Ils s’aperçoivent qu’on ne critique pas du tout les écoles de commerce en réalité et sont assez surpris du « scandale » qu’il a pu y avoir concernant HEC et La Crème de la Crème… Kim Chapiron : Ce « scandale » nous a beaucoup aidés dans le fond. La bande-annonce est un peu racoleuse, il est vrai, et a fait 1000 000 de vues, a été reprise dans toute la presse et les médias étudiants. Du coup, les gens se sont sentis un peu agressés, mais je pense que cette bande-annonce et le discours promotionnel du film sont justement dans la même dynamique que ces étudiants qu’on a inventés, par son aspect ludique et acide. Même si cette acidité appartient selon moi surtout à la première partie du film. Le conflit initial du film ; cette histoire de résea Thomas Blumenthal : Je pense qu’on est une génération qui se pose beaucoup de questions. On est hyper connectés, on a Twitter, Instagram et tous les réseaux sociaux, et pourtant on a beaucoup de mal à communiquer en vrai. Chaque fois que je suis avec une fille, je perds mes mots… Je crois qu’on est une génération qui a vraiment peur de s’aimer. On préfère dire « Je m’en fous » que « Je t’aime ». Pourtant on est une génération très sensible et hyper tendre, mais on a tendance à fuir plutôt que de tenter d’affronter le dialogue. Karim Ait M’Hand : Ce qui nous freine, je pense, c’est qu’on est plus à l’aise dans le conflit que dans l’amour. On se pose des questions complètement à côté de la plaque. Kim Chapiron : Je pense que le rapport au virtuel est aussi assez déstabilisant. J’aime bien l’expression « incontinence électronique ». Tout le monde se permet d’avoir un avis très tranché et très affirmé sans même s’autoriser un minimum de réflexion. Tout le monde est confronté à la vie de tout le monde tout le temps. La planète électronique dans laquelle on vit est aussi amnésique : elle a une capacité à oublier très vite. On a la capacité de cliquer sur « rafraîchir la page » et ainsi, en moins de trois minutes, des informations très importantes sont effacées pour être aussitôt remplacées par des nouvelles… D’un autre côté, je ne me positionne pas non plus en moralisateur et j’espère que La Crème de la Crème est lisible également à ce niveau : c’est notre monde, on le prend comme il est, mais les personnages s’y adaptent comme ils peuvent. Alice Isaaz : Kelliah s’est battue, elle a vraiment bossé pour intégrer cette école. Je pense qu’elle a vraiment envie de sortir de ce milieu populaire dont elle est issue pour atteindre autre chose. Donc dans le discours qu’elle sert aux filles qu’elle recrute, il y a aussi un peu de ça ; elle leur dit qu’elles ont un autre atout, leur beauté, et qu’elles peuvent s’en servir pour gagner leur vie, quitte à passer par ce réseau… C’est compliqué… Kim Chapiron : Moi je pense qu’elle se perd dans sa propre manipulation. Elle a été amenée à exceller dans cet art ; elle a beaucoup de répartie. Et ce qu’elle a en plus des autres, c’est qu’elle vient d’un milieu différent et possède donc un rapport humain beaucoup plus naturel, une capacité de compréhension et d’adaptation aux autres mondes que n’ont pas ses camarades. Elle en maîtrise les codes et nous fait découvrir l’univers de La Crème de la Crème, puisqu’on entre dans le film par son regard. Et quelque part, c’est surtout l’histoire de ce personnage qui n’en fait pas partie, qui veut en être mais n’en fera à mon avis jamais partie. Comment avez-vous fait travailler vos acteurs ? Comment les avez-vous familiarisés avec leurs personnages ? Kim Chapiron : Durant la période de préparation du film, on s’est beaucoup vus, on a fait pas mal d’ateliers d’improvisations ; c’est dans cette phase que je m’amuse et que je me rends compte de ce que les acteurs ont envie de faire, du registre dans lequel ils se sentent bien. Karim, lui, a une formation de chant et de danse ; Alice aussi ; Thomas, lui, est plus à l’aise dans la danse que dans le chant… Thomas Blumenthal : Moi mon domaine, c’est surtout la magie, à l’origine. J’en ai fait neuf ans… Kim Chapiron : Cette période de préparation durant laquelle on apprend à se connaître va en quelque sorte aussi déterminer les personnages. Karim Ait M’Hand : Il nous a fait répéter des scènes du cahier B, des scènes qui n’existent donc pas dans la version définitive du scénario, ce qui nous a permis ensuite d’obtenir une fluidité sur le plateau. Thomas Blumenthal : Karim, par exemple, a chanté une chanson d’Aznavour au casting. Karim Ait M’Hand : Oui, La bohème. Thomas Blumenthal : Et on ne peut qu’être séduit quand on entend cette chanson de la bouche de Karim, il chante très, très bien ! Le sujet se prêtait assez facilement à une certaine hystérie visuelle, pourtant votre mise en scène est très posée. Pourquoi ce choix de traitement ? Kim Chapiron : C’est comme dans la vie : intérieurement je suis hystérique et extérieurement, je suis très posé ! Non, plus sérieusement, je dirais que j’aime bien adapter la mise en scène au propos ; Sheitan était peut-être plus hystérique en termes de mise en scène ; ce qui correspondait à la fois au sujet et à l’envie du moment ; je pense qu’il est important d’être en phase avec ce qu’on fait. Là le sujet est très hystérique en effet, et c’est un sujet dur, je pense. Si j’avais appuyé sur le curseur mise en scène, ce serait devenu très démonstratif et à la limite du vulgaire. Ce qui m’intéressait finalement, c’était plus l’aspect conte de fée. C’est toujours une question de point de vue, et cette fois le point de vue est plutôt doux. Kim Chapiron : Oui, c’est presque un devoir.
Parce que vous ne prenez pas de position finalement… Kim Chapiron : Je prends celle-ci, elle est déjà dure à tenir, car je pense qu’affirmer un engagement, que ce soit du côté noir ou du côté blanc, c’est très casse-gueule ; alors qu’essayer de nuancer son propos et de se remettre en question est beaucoup plus sain pour un artiste. Ces étudiants avec qui on a vécu plein d’émotions, même si ce qu’ils ont fait n’est pas bien, on se rend bien compte qu’ils ne sont pas dans une démarche machiavélique. Que l’on dise que ce qu’ils ont fait est bien ou pas bien, dans les deux cas, on est moralisateur. Je me suis retrouvé avec une équation à plus que deux inconnues, donc ne pas trancher, proposer la nuance, c’était beaucoup plus intéressant, et ça appuyait davantage mes envies de réalisateur. Propos recueillis par Raphaëlle Chargois. [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=1lJPuP28YTs[/embedyt] [Crédits Photos : Camille Laux : L’équipe de la Crème de la Crème Place Stanislas à Nancy, 2014 ©Camille Laux ; Kim Chapiron, 2014, ©Camille Laux ; Alice Isaaz et Kim Chapiron, 2014, ©Camille Laux ; Karim Ait M’Hand et Thomas Blumenthal, 2014, ©Camille Laux ; Jean-Claude Moireau : La Crème de la Crème 1, 2014, ©Jean-Claude Moireau ; La Crème de la Crème 9, 2014, ©Jean-Claude Moireau.] |
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