La Couleur des Sentiments
Des années 1960, le cinéma nous a bien souvent vanté l’esprit libertaire, la créativité, le désir de renouveau, la jeunesse et la Beatlemania. Pourtant, on l’oublie trop souvent, à cette même époque, le racisme qui nous semble intolérable aujourd’hui était encore une norme sociale peu contestée. Bien qu’Abraham Lincoln ait proclamé l’abolition de l’esclavage en 1863, et que la Guerre de Sécession ait semblé régler la question au prix du sang, la ségrégation raciale demeurait aux Etats-Unis il y a à peine cinquante ans. Les Noirs, domestiques des riches Blancs, n’étaient considérés que comme des biens patrimoniaux échangeables à loisir. Dépourvus de droits, ils régissaient pourtant la vie quotidienne de leurs oppresseurs, de génération en génération.
C’est ce paradoxe qui constitue le postulat de La Couleur des Sentiments, adaptation par Tate Taylor du best-seller éponyme de Kathryn Stockett. Et c’est à partir d’un problème en apparence bien prosaïque que le racisme latent et profond de cette société est dénoncé : les enfants de la riche bourgeoisie blanche étaient élevés par des femmes noires sous-payées, qui n’étaient même pas autorisées à utiliser les mêmes toilettes que leurs employeurs. Faire entendre une protestation était risqué : ce n’était pas seulement encourir l’opprobre d’une société conservatrice, mais dans les états sudistes encore marqués par cette culture négrière et esclavagiste, c’était également s’exposer à la violence de la répression exercée par le Ku Klux Klan.
Aussi lorsque Skeeter Phelan revient à Jackson, Mississipi, sa ville natale, toute auréolée de ses récents succès universitaires, elle ne se doute pas qu’elle va bientôt entrer dans l’Histoire en retranscrivant les mots et maux de ces femmes noires qui n’ont pas voix au chapitre. Aspirante journalise et écrivaine, elle se sent peu à l’aise lorsqu’il lui faut tenir son rang social : les commérages, les parties de bridge, la chasse au mari ne l’intéressent pas. La révélation survient quand un journal local lui confie la tenue d’une rubrique ménagère. Requérant les conseils d’Aibileen, l’une de ces dévouées domestiques au regard triste, elle comprend que sa chance de percer dans le milieu littéraire est de leur donner celle de s’exprimer. Un projet fou, dangereux, qui va exacerber bien des tensions au moment où Martin Luther King prépare la grande marche sur Washington. Le livre que Skeeter, Aibileen, Minny et toutes les autres vont écrire ensemble augurera dans le microcosme de Jackson du bouleversement national que fut le combat pour les Droits Civiques.
Nécessaire piqûre de rappel d’un temps où le racisme, mêlé à une tradition de castes, régissait les mœurs de la plus ordinaire des façons, La Couleur des Sentiments bénéficie d’atouts incontestables. Le premier de ces atouts est son casting féminin irréprochable : Bryce Dallas Howard, repérée chez M. Night Shyamalan (Le Village, 2004 ; et La Jeune Fille de l’Eau, 2006) se distingue en mijaurée raciste et hygiéniste. Jessica Chastain a des airs de Marilyn dans son rôle de ménagère pulpeuse, écervelée et néanmoins rongée par le désir d’enfant. Quant à Octavia Spencer, elle incarne avec punch une délectable et facétieuse Minny. Elles sont toutes fascinantes, que ce soit ces femmes cramponnées à leurs privilèges de classe dominante ; celles qui luttent pour être reconnues en tant que personnes quand elles ne sont perçues que comme des servantes ; et Skeeter, qui décide de défendre ses convictions plutôt que d’entretenir sa permanente ou de se chercher un mari, comme son milieu l’exige pourtant d’elle.
Il y a aussi cette intelligente façon d’éviter le misérabilisme en jouant habilement de situations dramatiques et de moments de comédie très réussis. S’attachant très vite aux personnages, le spectateur ne ressent que plus durement les brimades infligées. En outre, Tate Taylor fait preuve de finesse en choisissant de repousser la violence physique en périphérie du film. Les coups ne sont jamais montrés : c’est la violence symbolique des relations entre les Blancs et les Noires qui les ont élevés qui frappe. Elle s’exerce dans chaque humiliation, chaque marque de mépris affiché.
La grande force de La Couleur des Sentiments est alors de préserver la forme d’un divertissement léger pour dénoncer un sujet grave. Car ce que ce passé pas si lointain nous rappelle, au fond, c’est de toujours rester vigilants : il ne tient qu’à nous d’empêcher le racisme de redevenir un phénomène ordinaire, une norme de la vie en société.
Raphaëlle Chargois
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Oscars 2012 (25 février)
- 1 prix : Meilleure actrice dans un second rôle
- Nominations : Meilleur film et Meilleure actrice
Tate Taylor Writers Guild of America Awards 2012 (19 février)
- 1 nomination : Meilleur scénario adapté
BAFTA 2012 (12 février)
- 1 prix : Meilleure actrice dans un rôle secondaire
- Nominations : Meilleur film, Meilleure actrice, Meilleure actrice dans un rôle secondaire, Meilleur scénario adapté
Screen Actors Guild Awards 2012 (28 janvier)
- 3 prix : Meilleure actrice, Meilleure actrice dans un second rôle et Meilleur ensemble d’acteurs
Producers Guild of America Awards 2012 (21 janvier)
- 1 nomination : Meilleur film
The London Critics’ Circle 2012 (19 janvier)
- 2 nominations : Meilleure actrice dans un second rôle (Jessica Chastain & Octavia Spencer)
Golden Globes 2012 (15 janvier)
- 1 prix : Meilleure actrice dans un second rôle (Octavia Spencer)
- 5 nominations : Meilleur film dramatique, Meilleure actrice dans un drame, Meilleure actrice dans un second rôle (Jessica Chastain & Octavia Spencer) et Meilleure chanson
Critics Choice Movie Awards 2012
- 3 prix : Best Actress, Best Supporting Actress et Best Acting Ensemble
The Washington DC Area Film Critics Association Awards 2011
- 1 prix : Prix de la meilleure actrice dans un second rôle (Octavia Spencer)
- 3 nominations : Prix de la meilleure actrice, Prix du meilleur casting, Prix du meilleur scénario adapté
Tate Taylor New York Film Critics Circle Awards 2011
- 1 prix Prix de la meilleure actrice dans un second rôle (Jessica Chastain)
- 3 nominations : Hublot d’Or de la Meilleure Adaptation, Prix Jeune Public de la Meilleure Adaptation et Coup de coeur du jury
Lumière sur… by Kinepolis 2011
- 1 prix : Lumière sur… by Kinepolis
La Couleur des Sentiments
De Tate Taylor
Avec Emma Stone, Viola Davis, Bryce Dallas Howard, Octavia Spencer, Jessica Chastain et Sissy Spacek
Sortie le 26 octobre 2011
A découvrir sur Artistik Rezo :
– les films à voir en 2011
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