Keep Smiling – comédie dramatique de Rusudan Chkonia
A Tbilissi, capitale de la Géorgie, la télévision locale organise un concours qui élira la meilleure mère de l’année. Le jeu en vaut la chandelle dans ce pays où sévissent pauvreté, misère et chômage. Elles seront dix finalistes prêtes à tout pour gagner. Le mot d’ordre : gardez le sourire sinon c’est l’élimination. Chaque concurrente est aussi différente que sa voisine tant physiquement que dans le (non)respect de certaines traditions. Les tensions ne vont pas manquer de s’exacerber…
Le titre est à lui seul un manifeste, un mot d’ordre que semble lancer la cinéaste à son pays. Garder le sourire quoi qu’il advienne, où que nous portent les événements, politiques ou sociaux. Garder le sourire en Géorgie, ce pays qui a vu sa superficie diminuer de moitié au cours des deux siècles derniers à force d’être rogné de partout et par tous, à commencer par les Russes, puis les Soviétiques. Garder le sourire face à une politique dictatoriale qui n’ose pas dire son nom car diluée dans des espoirs de démocratie à la faveur d’une bien illusoire Révolution des Roses en novembre 2003. Garder le sourire lorsque viennent à manquer les plus élémentaires besoins dont le pays regorge pourtant mais qui ne profiteront qu’aux plus nantis, souvent les moins honnêtes.
Les spectateurs qui, à l’instar de l’auteur de ces lignes, ont pu connaître ce pays loin des sentiers battus par tous ces expatriés néo-colonialistes notamment français, y trouveront immanquablement matière à quelques éclats de rires. Pourtant le propos ne prête que peu le flanc à une folle hilarité. Loin des crêpages de chignons que le scénario aurait induire, la cinéaste dresse tout d’abord un état des lieux de la Géorgie d’aujourd’hui, coincée entre un conservatisme plombé plus encore par la toute puissance du pouvoir religieux et velléités d’émancipation en tous genres. La mère Géorgie (dont l’immense statue de plusieurs dizaines de mètres surplombe la capitale Tbilissi) est ici au cœur du sujet avec toute la symbolique qu’elle charrie. Un sujet féminin, féministe aussi un peu. Mais avec l’ombre du mâle, maladroitement autoritaire (une réalité), qui plane toujours…
Mené par des comédiennes épatantes, ce divertissement a été très diversement accueilli en Géorgie. Forcément, certaines questions fâchent toujours. La pirouette réalisée par Rusudan Chkonia et qui relève du grand écart n’en est que plus salvatrice puisqu’elle propose non seulement de découvrir un pays souverainement ignoré des grandes puissances, son endémique marasme, sa fierté et sa quête d’identité mais également de montrer une œuvre pétillante dont la forme franchement positive contrebalance un fond plus sombre. Un peu à l’image de la chanson qui donne au film son titre et sera assurément sur toutes les lèvres à la sortie des cinémas. Peut-on faire plus fédérateur ?
Franck Bortelle
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Rencontres Cinématographiques de Cannes 2012 (du 10 au 16 décembre)
- 1 prix : Grand Prix du Jury
Cinemed de Montpellier 2012(du 26 octobre au 3 novembre)
- 1 prix : Antigone d’Or
Keep Smiling
De Rusudan Chkonia
Avec Ia Sukhitashvili, Gia Roinishvili, Olga Babluani, Tamuna Bukhnikashvili, Nana Shonia, Shorena Begashvili et Maka Chichua
Durée: 91 min.
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