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Julia Solomonoff : « Le concept d’imposture me fascine »

Antoine Ruiz 14 mars 2018
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© Ciné-Sud Promotion

En salle à partir du 25 avril 2018, le film indépendant argentin Nobody’s Watching explore avec finesse la vie à la fois oppressante et solitaire de New York. Rencontre avec la réalisatrice, Julia Solomonoff, connue précédemment pour Hermanas et Le Dernier Été de la Boyita.

Qu’est-ce que cela fait de travailler dans l’industrie cinématographie argentine ? Cela vous paraît-il plus difficile que de travailler à Hollywood ?

Le cinéma, c’est difficile partout. Aux États-Unis, la difficulté provient du casting qui décide si le film a du potentiel ou non. En plus, il y existe cette dictature des personnages « attachants », construits autour de stéréotypes et d’idées préfabriquées. Cela crée une forme d’industrie de niche. Et c’est aussi de ça que traite Nobody’s Watching, notamment avec la politique de Trump vis-à-vis de l’immigration. C’est pour ça que finalement il y a beaucoup plus de liberté créative dans le cinéma argentin. Cependant, ces derniers temps, les politiques culturelles ont changé dans mon pays natif et ce n’est pas toujours facile non plus. Les difficultés financières en Argentine posent aussi souvent problème. Du coup, je suis entre deux eaux et je joue un peu sur les deux tableaux.

Dans le film, vous traitez de plusieurs types de pression, comme par exemple celle d’habiter dans une grande ville telle que New York, celle de trouver un travail qui permette de vivre, ou celle de se forger une identité. Est-ce que vous avez vécu tout cela en vivant à ici ?

Oui, on peut dire que j’ai vécu tout ça. J’ai travaillé dans différents endroits, comme des bars, et je bénéficiais d’une bourse pour me nourrir. C’était difficile souvent, mais j’avais moi-même pris la décision de vivre de cette manière. Je n’étais pas une réfugiée ou une exilée. Le plus gros choc pour moi a été le changement de culture. C’est toujours impressionnant de changer de pays et de langue. Personnellement, je trouve que c’est une expérience « saine ». Partir à l’étranger, c’est comme perdre une partie de son égo. Cela peut être ressourçant, mais on risque parfois d’oublier son identité avec le temps.

Nico Lencke, le personnage principal, semble maintenir des relations superficielles avec les gens qui l’entourent. Pensez-vous que la superficialité est une caractéristique de New York ?

Nico est un personnage initialement trop fier qui va subir de nombreuses situations humiliantes. Ses mensonges et son apparence superficielle font de lui une sorte d’imposteur. Le concept d’imposture me fascine puisqu’il n’y a pas que du faux. Pour moi, Nico est l’imposteur parfait parce qu’il projette des fabrications de son esprit auxquelles il croit fermement au travers de ses actions et mensonges. Il y a quelque chose d’authentique finalement dans ses fantaisies. Pour lui, c’est un moyen de maintenir une certaine image auprès des autres personnages. Il tente désespérément de ne pas froisser ses relations avec eux. Sa relation avec le bébé est important, puisqu’elle représente la tendresse, l’amour mais aussi la vérité – pas dans la parole mais le regard – étant donné que personne d’autre ne le regarde vraiment.

Ainsi, je dirai que la fierté est quelque chose de très argentin, tandis que le besoin de reconnaissance et de succès est plutôt new-yorkais. Cependant, à New York, ce qui m’a le plus frappé, c’est que les gens protègent fermement leur vie privée. Ils ne se livrent pas, contrairement aux argentins. Par exemple, à New York, les gens ne m’invitaient pas chez eux. On me donnait plutôt rendez-vous dans des bars ou autres lieux publics. D’où des relations un peu superficielles.

©Ciné-Sud Promotion

Le film relie plusieurs concepts ensemble, comme la recherche d’identité et celle de la gloire. Comment envisagez-vous ces deux concepts ? Comment s’affectent-ils l’un et l’autre dans le film ?

Tout est dans le titre, je pense. Nico est un acteur qui cherche à être regardé, qui cherche le regard des autres pour exister. Il attend aussi l’admiration de son ami Martin qui ne le regarde pas, puisque celui-ci est beaucoup trop occupé avec sa vie et son propre égo. Nico va à New York pour se prouver qu’il peut faire sa vie sans lui, et c’est son tout premier faux pas. Au final, au lieu de partir vivre à l’étranger pour se construire une identité et chercher ce qu’il veut vraiment dans sa vie, il essaye d’impressionner Martin continuellement pour se perdre lui-même, au final. Aujourd’hui, on est dans un société d’image, notamment avec les réseaux sociaux, où les gens diffusent leur vie juste pour tenter d’atteindre un certain succès. Rien de tout ça n’est entièrement réel. C’est aussi très américain ce rejet de la douleur, de la solitude et de l’échec.

 

Beaucoup de spectateurs voudront sûrement vivre la même aventure que Nico et expérimenter la vie new-yorkaise. Que leur conseillerez-vous ?

Le film est assez authentique et réaliste quant à l’expérience de la vie new-yorkaise. Je n’ai rien glorifié, j’ai même plutôt mis en avant le piège qui réside dans la ville. Grâce au cinéma, on a l’impression qu’on connaît bien New York. Mais en réalité, c’est juste une illusion. C’est facile de se dire qu’il y a de la place pour tout le monde et qu’on peut appartenir à cette énergie que dégage la ville. Le mieux c’est de rester soi-même et de ne pas s’enfermer dans cette illusion.

 

Quelle est la prochaine étape pour vous ? Auriez-vous déjà un nouveau projet en tête ?

J’ai commencé par le cinéma argentin, puis Nobody’s Watching a marqué cette transition argentin-américain. Maintenant je me focalise sur le cinéma américain. Je travaille actuellement sur mon prochain film qui s’appelle Off Peak, qui sera en anglais et produit aux États-Unis. Il parle d’une femme qui retrouve sa liberté et qui disparait. Ce n’est pas exactement un thriller, même si on y retrouvera des éléments de mystères et d’actions autour de la politique. En ce moment, je joue beaucoup sur les métaphores, notamment dans la mise en scène de la place de la femme et des races dans la société.

 

Propos recueillis par Antoine Ruiz

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