Jeanne Captive – film de Philippe Ramos
« Jeanne, les flammes l’ont suivie / Quand elle chevauchait dans la nuit, / Pas de lune pour l’éclairer, / Ni personne pour la guider. ‘Je suis si lasse de la guerre, / J’ai tant envie des travaux de naguère, / D’une longue robe de mariée / Pour habiller mon appétit grossier’. »
Ainsi, Graeme Allwright chantait-il la figure mythique de la Pucelle d’Orléans, traduisant en français le texte de Leonard Cohen. Depuis le Moyen-âge, Jeanne d’Arc, la jeune fille en armure qui voulait bouter les Anglais hors du Royaume de France, guidée en cela par de saintes voix, a inspiré nombre de poètes, d’écrivains, de cinéastes ; fait s’affronter les historiens ; été récupérée par toutes sortes d’idéologies peu recommandables ; symbolisé le martyre des femmes dont le pouvoir dérange. Les flammes dans lesquelles elle a péri ont nourri le mythe à travers les siècles. Aussi, écrire un énième roman à ce sujet, réaliser un nouveau film sur Jeanne d’Arc, c’est devoir assumer et potentiellement s’affranchir d’une tradition artistique d’autant plus exigeante que le brasier intellectuel autour de ce personnage historique est toujours vivace – parole de Lorraine.
Mais Philippe Ramos n’a pas l’habitude de reculer devant les défis. Avec Capitaine Achab (2007) fine et magnifique relecture de Moby Dick, il avait déjà brillamment démontré qu’il maîtrisait l’art de proposer une création originale qui sache retranscrire la dimension fascinatoire d’un mythe – en l’occurrence – littéraire. Son interprétation de la vie légendaire de la fameuse Lorraine se fonde non pas sur ses exploits guerriers, mais sur la réclusion de ses derniers mois ; une captivité qui n’est pas seulement physique mais aussi mentale. Jeanne privée de ses voix, a choisi de se taire, de se réfugier dans le silence pour retrouver dans son propre esprit la force divine qui l’a poussée sur les routes d’Orléans, à la tête des armées françaises.
De Jeanne, il effectue un portrait intime, affectueux, qui préserve son mystère et en loue la spiritualité. Clémence Poésy, dans ce rôle difficile, est alors d’une grande justesse : son regard est habité, et Philippe Ramos ne se permet pas de juger s’il l’est par des voix divines ou par la simple conscience de la beauté du monde, sa force ressentie et sacralisée parce que vécue à une époque où toute forme de grandeur était considérée comme ne pouvant que porter le nom de « Dieu ». Ainsi, Sainte ou Folle, Ramos ne tranche pas. Non plus que le guérisseur incarné par Thierry Frémont, qui soigne ses plaies en tentant de la sauver contre son gré. Ce que le réalisateur et ce personnage respectent, c’est la conviction profonde qui mut ce caractère au point de lui faire accomplir une guerre, couronner un roi qui l’abandonna ; métamorphosa une jeune bergère venue d’un petit village en conquérante héroïne d’une nation assiégée.
Philippe Ramos évince la fatalité, il traque la pulsion de vie qui anime la chair blessée, installe une atmosphère panthéiste, de nombreux destins gravitant autour de cette vie littéralement consumée. Cette vision poétique et très esthétique de l’histoire de Jeanne D’Arc n’est pourtant pas dépourvue de maladresses, liées à ce propos panthéiste ainsi qu’à l’ambigu mysticisme qui en découle. Le personnage halluciné de Matthieu Amalric, par exemple, apparaît quelque peu inutile, et le final peut-être trop grandiloquent, compte tenu de la sobriété-même affichée par une Jeanne D’Arc volontairement silencieuse.
Demeurant insaisissable malgré les très gros plans utilisés par Philippe Ramos pour scruter sa chair, tenter de cerner son esprit et de sonder son âme, Jeanne la Lorraine se voit consacrer un bel hommage, certes agréable et intéressant, mais qui manque un peu de substance ; et surtout qui n’atteint pas la grâce et la maîtrise de celui que le réalisateur avait si merveilleusement rendu à l’ombrageux héros d’Herman Melville.
Raphaëlle Chargois
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Jeanne Captive
De Philippe Ramos
Avec Clémence Poésy, Thierry Frémont, Matthieu Amalric, Liam Cunningham, Louis-Do de Lencquesaing et Pauline Acquart.
Sortie le 16 novembre 2011
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