Jean-Jacques Schpoliansky, directeur du Balzac.
La porte s’ouvre, un homme au large sourire, le regard pétillant, apparaît : c’est Jean-Jacques Schpoliansky, directeur de l’unes des rares antres du cinéma d’art et d’essai de la rive droite : Le Balzac.
A deux encablures de la célèbre avenue, dissimulé derrière une grande enseigne automobile, ce petit cinéma de 3 salles appartient à la catégorie « recherche & découverte ». Autrement dit un cinéma d’art et d’essai qui ne diffuse pas le répertoire mais d’abord et avant tout des films d’auteur en première exclusivité : « du trapèze sans filet ! » s’exclame le maître des lieux. En bref, le cinéma des premières fois, celui où la prise de risque est maximum, quand le film est encore vierge de toute étiquette.
Exploitant de cinéma de père en fils.
Exploitant de cinéma. Pris au premier degré, le mot sied fort mal à Jean-Jacques Schpoliansky tant il n’exploite pas le cinéma. Il se met, bien au contraire, à son service, au service d’un certain type de cinéma, celui des auteurs, des chercheurs d’idées, des bricoleurs d’histoire qu’ils viennent d’Allemagne (La vie des autres, Good bye Lenin), d’Italie (Nos meilleures années), d’Argentine (Bombon le chien) ou d’ailleurs.
Tout commence en 1935 quand son grand-père, Jacques, entrepreneur curieux arrivé de Russie, crée le Balzac. Après la guerre, c’est son fils, Michel, qui prend la relève. Il fait alors découvrir au public parisien les chefs-d’oeuvre des grands réalisateurs français de l’époque : Jacques Deray, Georges Lautner, Claude Chabrol, Marcel Carné, Jacques Tati… Des années 50 aux années 70, le Balzac est au premier plan de la scène cinématographique parisienne. C’est le temps où tout le monde s’y presse. Le maestro se souvient. Nous sommes en 1960…
« …un ami de mon père lui parle d’un jeune cinéaste prometteur qu’il faut absolument programmer. Mon père hésite. L’ami en question revient à la charge un mois durant. Au bout d’un mois, mon père finit par céder et accepte de programmer le film. Le premier jour de sa sortie, quelle ne fut pas sa surprise de voir qu’une foule énorme se massait aux portes du Balzac : les gens attendaient de voir A bout de souffle de Jean-Luc Godard ».
Les avant-premières prestigieuses, où l’on croise les plus grands cinéastes et les plus fameux acteurs, se succèdent. La plus belle d’entre toutes sans aucun doute : celle de La Piscine de Jacques Deray en 1969 qui réunit au Balzac au cours de la même soirée Alain Delon, Romy Schneider, Maurice Ronet, et Jane Birkin.
En 1973, Jean-Jacques Schpoliansky reprend l’affaire familiale, dès le lendemain de la mort de son père. Dès lors, il doit faire face à l’augmentation constante des prix du loyer qui ne se démentira jamais et contre laquelle il se bat pour maintenir le navire à flot. Au pays des grandes enseignes, quand les prix gonflent et que la culture éclate, que faire ? Pour notre directeur au caractère bien trempé, c’est l’évidence-même : résister et crier, fort si possible.
Soutenu par sa fidèle équipe, Jean Hernandez, son programmateur depuis 30 ans, et son assistante depuis 15 ans, Virginie Champion, il bouillonne d’idées pour faire entendre sa voix et défendre une certaine idée du cinéma. L’homme, obstiné par nature, n’hésite pas à proposer, imaginer, solliciter ses nombreux amis pour organiser toutes sortes d’événements : avant-premières exceptionnelles, ciné-concerts, soirées d’abonnés, manifestations gastronomiques prestigieuses… Ce qui l’anime ? La flamme de la passion , l’envie, restée intacte même – et surtout – à soixante-cinq ans.
« Si Harry Potter est la seule vérité, alors il n’y a plus rien derrière ».
Il faut dire que pour Jean-Jacques Schpoliansky, l’enjeu est de taille : à travers son cinéma, c’est aux Champs-Elysées que l’on touche, c’est-à-dire « à un symbole de la France » de par le monde. S’il abdique et que les Champs-Elysées finissent de se standardiser aux normes du grand capitalisme mondial, « quelle leçon donne-t-on à nos enfants ? » rétorque-t-il à ceux qui le voient déjà disparaître. Investi d’une mission, conscient du sens de l’émancipation à transmettre aux générations futures, il veut « porter, en tant que membre de la société civile, cette possiblité d’ouvrir les esprits ». C’est ainsi qu’une citation d’Albert Camus, accrochée en bonne place au-dessus de son bureau, l’accompagne depuis des années :”Tout ce qui dégrade la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude”. Et lui d’ajouter : « si Harry Potter est la seule vérité, alors il n’y a plus rien derrière ». On l’aura compris, combattre la monotonie, l’atonie et l’incurie, tel est son leitmotiv.
Parmi les trouvailles récentes qu’on lui doit et qui ont rencontré le succès public et critique, citons, parmi une série d’autres, Slumdog millionnaire, In the mood for love, Nos meilleures années, La vie des autres etc.
L’avenir, pour Le Balzac ? Il a les yeux de sa fille, Wanda : l’association qu’elle a créée avec une amie « Tous en salles ! » a pour objectif de partir étudier la situation au-delà de nos frontières et de mettre en évidence la diversité des salles qui existent dans le monde. Souhaitons-leur bonne route et que vive encore longtemps la diversité culturelle au Balzac !
Sophie Gasol.
- Quelle dimension tient votre travail dans votre vie et quel sens prend-il ?
Pendant longtemps, j’ai loué mon imagination à d’autres. Aujourd’hui, je m’en sers pour défendre mon cinéma. Mon travail est devenu une drogue mais je m’amuse beaucoup.
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