Jacques Dutronc – Interview
Balayés les clichés. Une rencontre avec Jacques Dutronc, “intermittent” narquois de la chanson et du cinéma français depuis quelque 45 ans, chahute gentiment les a priori. Et toutes ces étiquettes en forme de confettis qui saupoudrent son parcours au long cours de caustique “dandy”. Au détour d’une interview à “La Villa corse”, restaurant goûteux niché Rive droite à Paris, qui semble avoir été créé pour lui – “le doigt de Dieu”, en dit-il ! – l’artiste se révèle être un homme drôle, bien sûr. Mais doux, aussi.
Nulle provoc’ paresseuse, de celle qui conforterait son statut d’élégant intimidant. Non, entre deux concerts d’une tournée longue durée, triomphale, de Paris à La Rochelle en passant par Nice, Lyon, Bruxelles ou Colmar et sa “fête du vin” le 9 août (!), le soleil de Monticello a doré joliment sa peau et son sourire. Du coup, derrière le verre fumé de ses sempiternelles lunettes, Dutronc est juste un convive gourmand, sympathique, venu défendre Joseph et la fille, thriller fragile, pas complètement abouti, signé Xavier de Choudens (en salle le 18 août). “J’ai fait son film uniquement pour la particule, c’est toujours rassurant d’avoir deux metteurs en scène”, s’amuse avec tendresse l’interprète “césarisé” de Pialat (pour Van Gogh, en 1992), mais encore de Godard, Chabrol, Zulawski, Jean-Marie Périer (l’ami qui le fit débuter au cinéma), Claude Lelouch ou Nicole Garcia.
L’art de la litote
Un palmarès éloquent, qu’il commente, pourtant, uniquement sous forme de pirouettes, histoire de ne jamais négliger cette jolie petite musique du hasard qu’il affectionne tant. “Le cinéma, c’est comme une librairie, vous n’allez pas acheter tous les bouquins ! Bon, ben pour les films, c’est pareil, s’il y en a un de vraiment très bien, c’est mieux de ne pas passer à côté. En même temps, si l’on a fait 60 films, on a le droit d’en regretter 30 !”. En l’occurrence, Dutronc acteur traverse ou illumine, c’est selon, une quarantaine de longs métrages depuis 1973. Dont ce Van Gogh en guise de sommet, presque vampirisé par sa silhouette désincarnée, au bord de l’abîme. Celui-là même qui lui permit de briser, une fois pour toutes, son image de “dilettante”. “C’était une expérience un peu longue, mais je n’ai aucun regrets. C’est vrai… Pialat a essayé de faire chier plein de fois, il n’arrêtait pas de dire, “de toute façon, ce film est une merde”, mais ça n’a pas marché ! Je me souviens aussi que la fameuse veste de Van Gogh, hé bien c’était une veste Daniel Hechter…”, botte-t-il en touche, avec ce sens irrésistible du détail inutile et qui, pourtant, fait mouche…. A mille lieues d’une quelconque nostalgie-hagiographie.
Sa façon à lui, jamais méchante, de témoigner de son décalage. “Je ne fais pas partie du milieu du cinéma français“, confirme-t-il si l’on insiste, plus prosaïque. Content, malgré tout, de glisser tout le bien qu’il pense de Gérard Depardieu : “je le connais depuis très longtemps, il n’est pas chafouin, comme tant d’autres”. Ou De Dupontel et Blier : “j’ai très envie de voir leur film, Dupontel, pour moi, c’est un génie “. Content, tout simplement, de renouer avec le 7e art par un angle de biais, celui de ce Joseph, un “mec qui sort de taule, pas tout à fait gentil”, ceci trois ans après l’échec du Deuxième souffle d’Alain Corneau, en 2007. Un échec qui l’a “atteint”, reconnaît-il volontiers, sans barguigner, d’autant que le cinéaste est désormais “très malade”. Pudeur, silence, sourire : heureux ou pas, jamais de toute façon Jacques Dutronc n’élève la voix.
Il chuchote, suggère et tempère, plutôt, tandis que le déjeuner avance, aimable et partageur. De fait, si le cochon corse, aux saveurs prononcées sinon relevées, est son mets préféré, la fine litote, elle, semble être la figure de style qu’il a le mieux apprivoisée… De Hafsia Herzi, sa jeune partenaire dans Joseph et la fille, il dit : “Elle parle un peu trop vite, mais elle a du caractère, c’est bien !”. De Xavier de Choudens, son metteur en scène complice, admiratif, qui a à peu près l’âge de Thomas, son fils : “Avant de le connaître, j’ai entendu dire que c’était Melville. C’est vrai qu’il a des cadrages qui y font penser. Sinon, le tournage, c’était rock’n’roll !”. De son travail de comédien : “Jouer c’est un grand mot… Disons que je participe à une aventure…”. Et de sa jolie vie de sexagénaire débonnaire aux 40 chats ? “J’arrive de Corse, je viens de tourner pour une émission de télé, ‘Empreintes’, il y a aussi toutes ces dates de la tournée, qui d’ailleurs se termine à la Fête de l’Huma. Et puis les copains… Je n’ai jamais autant bossé !”.
Envolées, décidément, les fausses évidences : la réserve naturelle de Jacques Dutronc, que l’on découvre avantageuse et plaisante autour d’une bonne table (la sienne porte le numéro 14), n’a rien à voir avec la notion de retrait. Encore moins de retraite. Et ça, en effet, ça met en joie.
Ariane Allard
De Xavier de Choudens
Avec Jacques Dutronc et Hafsia Herzi.
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Sortie le 18 août 2010
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