Jacky Nercessian
Qu’est ce qui vous a décidé à vous lancer dans le cinéma ?
J’ai fait des études de théologie très jeune ; j’avais un côté mystique très symptomatique. En même temps, prêcher à 16 ans dans une petite église baptiste, c’est quand même révélateur du fait de vouloir se montrer, d’avoir un côté « narcissique ». Par la suite, j’ai aidé ma mère qui possédait une boutique de prêt-à-porter à Saint-Étienne. J’ai commencé à y vendre des stylistes alors inconnus du public : Kenzo, Marithé et François Girbaud, Jean-Paul Gaultier… j’ai réalisé des défilés, des pubs assez extravagantes…
Puis, quand Mitterrand a libéré les ondes, j’ai commencé à faire de la radio et à interviewer des comédiens, et puis peu de télé. Le comédien Jean-Christophe Bouvet m’a appelé par hasard pour le remplacer lors d’une imposture face à Jean-Hedern Allier dans l’émission « Pirate » sur TF1. Et puis j’en ai réalisé une autre, avec Patrick Sébastien, que Claude Miller a cru de bout en bout ! Il m’a alors appelé pour me proposer de me confier le rôle d’un marchand de vêtements dans son film « La Petite voleuse » avec Charlotte Gainsbourg. Puis j’ai travaillé avec Jean Yanne et Laurent Baffie débutant dans « Tout le monde il est gentil », puis avec Ardisson. Entre temps je faisais des apparitions au cinéma, chez Doillon, chez Tavernier… Mon premier rôle important a été sur « Mayrig », réalisé par Henri Verneuil, avec Omar Sharif et Claudia Cardinale : je devais avoir une journée de tournage, j’en ai fait 35. Ce film relate l’arrivée des Arméniens en France après le génocide de 1915.
Que pensez-vous de l’image que la France se fait de l’Arménie ?
Il y a bien sûr d’un côté Aznavour, mais aussi, plus récemment, une nouvelle frange du film noir qui intègre les Arméniens dans leur paysage scénaristique, comme dans « L’Immortel » et « Le Premier cercle ». On a écumé le politiquement correct ou incorrect des maghrébins dealers, des siciliens mafieux, donc on lorgne un peu vers les slaves louches ! Les Arméniens ne sont pas des saints, mais ils ne sont pas tous pourris !
J’ai joué un rôle de Turc dans « Le grand voyage » dʼIsmael Ferroukhi, sur un père et son fils qui font un voyage à La Mecque. Je joue le rôle d’un homme, Mustapha, qu’ils rencontrent en chemin. C’était très important pour moi d’aller en Turquie, de revenir vers mes racines (mon grand-père était avocat en Anatolie), dans une démarche presque psychanalytique. Il est très facile de se mettre à haïr les Turcs parce qu’ils ont massacré votre grand-père ; mais les Turcs ne sont pas mes ennemis, alors que le gouvernement turc peut l’être, tant qu’il ne reconnaîtra pas le génocide. Car tant qu’un génocide n’est pas reconnu, on se défend d’être communautariste, mais on l’est toujours un peu. La veille du 24 avril dernier (date de commémoration du génocide arménien de 1915), place de la République, on m’a demandé de m’exprimer, et j’ai déclaré que j’en avais marre de voir cette jeunesse revendiquer tous les ans, au lieu de faire l’amour, ou d’être créatif ! Ça me gonfle un peu, cette revendication misérabiliste des communautés arméniennes françaises, américaines, libanaises…
Quels sont vos projets actuels ?
Je vais tourner en mai un court-métrage avec Fanny Ardant, un court-métrage dans lequel nous jouons deux cousins juifs. Le sujet est essentiellement basé sur la nourriture, à mon avis cela va peut-être devenir un long-métrage.
Avez-vous des projets en tant que réalisateur ?
Oui, je suis en train d’écrire un film sur la psychanalyse qui va s’appeler « Poursuivez », et abordera le sujet de la non-assistance à personne en danger. Je m’intéresse à l’exagération et à la manipulation mentale. La psychologie humaine nous enferme dans des craintes, dans des schémas. J’ai envie de raconter des histoires pour m’approcher le plus possible de ce que j’ai vécu, ressenti, avec des nuances de gris, sans manichéisme. J’aimerais que ma révolte puisse m’apaiser au point de pouvoir parler des choses qui me révoltent, pour m’apaiser encore, et pouvoir continuer à en parler.
Comment définiriez-vous Luc Besson ?
Il a une telle connaissance du cinéma, que s’il demande quelque chose, vous savez qu’il va pouvoir le faire, de la production à la réalisation. Ça ne semble rien, mais c’est énorme. Quand on est acteur dans des films comme Adèle Blanc-sec, on est au service de personnalités comme Luc Besson, qui représentent le summum de la précision. Je suis moi-même particulièrement docile, ça fait partie de mon humilité. Après mes six heures de maquillage, je ne sentais plus les muscles de mon visage. Sa précision m’a été d’une grande utilité, car j’avais peur d’en faire trop, ou pas assez.
Ce qui me plaît dans ce réalisateur, c’est ce que je n’ai jamais eu : l’adolescence. Lui est resté dans une adolescence qui rêve de tout, et qui aboutit à tout. Il a une double pensée, adulte et adolescente mais sa partie adulte maîtrise sa partie créatrice adolescente : cela donne des films qui ne plaisent pas à tout le monde, mais là n’est pas l’important. Il est au service de ses rêves.
Je suis attachée à Adèle Blanc-sec d’abord pour Louise Bourgoin, dont c’était le premier grand rôle. Il fallait donc l’entourer, mais en même temps lui laisser sa liberté. Un rôle très lourd, qu’elle a abordé de manière exemplaire. Comme Adèle Blanc-sec, elle est souple, mais avec un caractère bien trempée ! Travailler avec elle a été très intéressant, ainsi qu’avec les trois maquilleurs qui s’occupaient de moi.
Comment expliquez-vous que Luc Besson ait décidé de refaire un film, alors qu’il prétendait le contraire ?
Bah… Comme si je vous disais : j’ai décidé de ne plus jamais retomber amoureux… j’ai répondu à votre question ?
Euh…oui.
Propos recueillis par Mathilde de Beaune
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