J. Edgar – biopic avec Leonardo DiCaprio
Le biopic est un exercice cinématographique particulièrement difficile, car la complexité d’un destin individuel ne peut que rarement se résumer dans un récit linéaire et calibré. Chargés de réincarner sur grand écran des personnages ayant marqué l’inconscient collectif, les acteurs et actrices qui se frottent au genre se voient bien souvent confinés dans l’impasse du critère de ressemblance, contraints de calquer leur modèle ou violemment critiqués pour s’en être trop affranchis. Ainsi c’est bien souvent quand le processus de réinvention de la mise en scène est le plus créatif que le biopic séduit davantage. Film sur et autour de Bob Dylan, I’m Not There de Todd Haynes avait su se mesurer au mythique héros de la protest song en refusant le récit linéaire, mais en narrant plutôt certains aspects de ses vies réelles ou rêvées, et en produisant un effet de distanciation / réinvention grâce à cet audacieux parti pris de faire jouer Bob Dylan par six acteurs différents, dont une femme, Cate Blanchett, incroyablement à l’aise dans cette étrange peau.
Esquissant le portrait de celui qui fut durant presque cinquante ans le controversé directeur du FBI, Clint Eastwood opte quant à lui pour un format de réalisation plus classique, qui, s’il colle bien à la personnalité de l’intéressé, pâtit un peu d’une rigueur que la déconstruction temporelle employée par la narration ne parvient pas à compenser. De flashbacks des moments les plus emblématiques de la carrière ou de la jeunesse d’Hoover, en retours sur ses dernières années s’élabore une vision du personnage toute en ambigüités, ce qui est la plus grande qualité de ce J. Edgar. Car enfin, ce qui est démontré, c’est que lui-même avait tellement romancé sa vie à destination des journaux, des archives de son service, de proches ne pouvant pas accepter sa véritable personnalité, de la justice, et plus encore du peuple américain en général qu’il ne savait plus non plus réellement distinguer le vrai du faux à son propre sujet. Néanmoins, il est regrettable que Clint Eastwood, qui a si souvent excellé dans la description de personnages aux lisières de la morale établie – notamment dans le très beau Gran Torino, qu’il avait interprété et réalisé – s’en tienne ici à un récit si strict, si policé, n’évinçant certes pas les parts d’ombre du personnage mais ne les creusant pas non plus. Il est d’ailleurs amusant de constater cette coïncidence : une nouvelle fois, c’est Leonardo DiCaprio qui se glisse dans la peau d’un personnage trouble, passablement égratigné sous la plume de James Ellroy pour ces mêmes raisons que le biopic évite de trop mentionner, huit ans après le discutable Aviator de Martin Scorsese. Quid, en effet, de l’ardente campagne menée par Hoover pour étouffer le Mouvement des Droits Civiques ? De son refus obstiné de reconnaître l’existence de la Mafia, et de sa résistance face à la lutte menée par les Kennedy contre le crime organisé ? Des écoutes frauduleuses grâce auxquelles il fit pression sur nombre de personnalités d’envergure de l’époque ? De son obsession de l’anti-communisme, ou pour les dossiers qu’il rassembla sur à peu près l’ensemble de la classe politique ? Il serait hypocrite de prétendre qu’Eastwood ne les mentionne pas, mais au regard de l’impact que toutes ces manœuvres eurent sur la forme prise par la politique américaine dès lors jusqu’à nos jours, il semble un peu trop léger de se contenter de les évoquer.
Là où par contre, Eastwood fait preuve d’une finesse indéniable, c’est dans sa façon de relater la présumée homosexualité refoulée du directeur du FBI, au-travers de sa non-relation avec son « numéro 2 », Clyde Tolson. (Incarné par Armie Hammer, qu’on a déjà pu voir dans nombre de séries en vogue et dans The Social Network, sur qui le maquillage vieillissant, il faut toutefois le souligner, est un complet désastre. Autant celui de Leonardo DiCaprio paraît convaincant, autant le sien est tellement raté qu’il fait disparaître toute considération de jeu d’acteur dans l’esprit du spectateur médusé par la vue de la momie vaguement humaine qu’est censé être devenu ce jeune, beau et brave Clyde Tolson, pourtant en réalité mort à soixante-quinze et non pas cent-dix ans). Cette fêlure apporte une certaine beauté au portrait de ce fascinant personnage, mais ne parvient hélas pas à en approcher l’énigme.
Raphaëlle Chargois
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Screen Actors Guild Awards 2012
- 2 nominations : Meilleur acteur et Meilleur acteur dans un second rôle
- 1 nomination : Meilleur acteur dans un drame
J. Edgar
De Clint Eastwood
Avec Leonardo DiCaprio (J. Edgar Hoover), Naomi Watts (Helen Gandy), Armie Hammer (Clyde Tolson), Josh Lucas (Charles Lindbergh), Judi Dench (Anne Marie Hoover), Josh Hamilton (Robert Irwin), Geoffrey Pierson (Mitchell Palmer), Cheryl Lawson (la femme de Palmer), Kaitlyn Dever (la fille de Palmer), Brady Matthews (l’inspecteur), Gunner Wright (Dwight Eisenhower), David A. Cooper (Franklin Roosevelt), Ed Westwick (Agent Smith), Kelly Lester (la secrétaire en chef), Jack Donner (le père d’Edgar), Dylan Burns (le jeune J. Edgar Hoover) et Jordan Bridges (l’avocat du ministère du Travail)
Durée : 135 minutes
Sortie le 11 janvier 2012
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