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Interview de Mathieu Kassovitz – L’Ordre et la morale

14 novembre 2011
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Mathieu Kassovitz - L’Ordre et la morale

Avril 1988, île d’Ouvéa, Nouvelle-Calédonie. Il avait 18 ans à l’époque. Et s’il n’y avait eu, beaucoup plus tard, la lecture du livre Enquête sur Ouvéa pour le bousculer — le rapport, en fait, de la Commission d’investigation de la Ligue des Droits de l’homme — il reconnait qu’il n’aurait gardé que des souvenirs parcellaires de cette prise d’otages et de cet assaut, tous deux meurtriers. Des bribes d’images à la télé.

Seulement voilà, Mathieu Kassovitz, 44 ans aujourd’hui, est non seulement un cinéaste de talent — même s’il s’est égaré pendant sa période « américaine » — c’est aussi depuis toujours, depuis La Haine en 1995 en tout cas, un citoyen qui aime frotter sa caméra aux plaies du réel. Voire de l’Histoire. L’Ordre et la morale, son nouveau film au goût de cendres, revient donc avec force et conviction sur ces « événements » qui, en cette mi-novembre 2011, plus de 23 ans après les faits, restent… extraordinairement sensibles. De fait, a priori, sauf revirement de dernière minute, il ne sera pas distribué, donc projeté en salle, en Nouvelle-Calédonie.

Une censure qui contraste, pour le moins, avec la volonté initiale de « réconciliation » prônée par Kassovitz et son producteur, Christophe Rossignon. Mais qui ne doit pas occulter la qualité cinématographique dudit film. En somme, le souffle retrouvé de son metteur en scène. Rencontre à Paris (en septembre dernier) avec cet empêcheur d’oublier en rond, quoi qu’il en soit…

L’Ordre et la morale, votre nouveau film, est l’aboutissement d’un long travail de documentation, de rencontres et d’écriture qui a duré 10 ans. Quel en a été le déclic, d’abord ?

Le bouquin de la Ligue des droits de l’homme, indubitablement ! C’est mon père qui me l’a donné à lire. Il a été édité en 1989 et retrace, minute par minute, les événements d’Ouvéa. Ce livre, qui racontait ces dix jours d’avril/mai 1988, était un véritable scénario. D’autant que ce qui m’a frappé, aussi, c’est que l’on retrouvait partout le capitaine Philippe Legorjus, officier du GIGN envoyé sur place pour négocier avec les preneurs d’otages. Et qui s’est retrouvé coincé dans les filets des militaires et des politiques… Une histoire qui a été révélée, également, par le journaliste Edwy Plenel et quelques autres…


Dès le départ, vous avez pensé à faire de Legorjus votre personnage principal ?

Oui, dès le début, j’ai voulu raconter cette histoire de son point de vue. Parce qu’il est le fil rouge de toute cette affaire. Le guide. A l’époque je n’avais pas encore lu son bouquin – « La Morale et l’action » – qui montre bien tout ce qu’il a traversé. Bon, ça n’était pas simple, comme choix de scénario, car beaucoup de Kanaks le considèrent encore comme un traître puisqu’il n’a pas tenu – ou n’a pas pu tenir – sa parole. Mais en même temps, je ne suis pas kanak moi non plus, ça c’était plus facile à expliquer ! Expliquer, à travers lui, l’histoire d’un homme blanc, qui découvre d’autres individus d’une autre culture, et vit quelque chose de fort… Car ces 10 jours ont marqué sa vie à jamais. D’ailleurs, depuis, il n’est plus dans le GIGN. Il a même quitté l’armée. Enfin, encore une fois, mon but n’était pas d’en faire un héros ou un traître, mais de raconter ce qu’il avait vécu…


Est-ce la raison pour laquelle vous avez choisi d’interpréter vous-même ce personnage, finalement ?

Oui, c’était ma façon, vis-à-vis des Kanaks, de dire que je m’engageais complètement. Et ce, d’autant plus, que beaucoup des acteurs du film sont Kanaks, dont Iabe Lapacas qui, en plus, se trouve être un cousin d’Alphonse Dianou !

10 ans de recherches, d’écriture, de réécriture, donc… Cela vous a paru long, difficile, décourageant ?

Long, oui, vraiment ! Mon premier voyage en Nouvelle-Calédonie, je l’ai fait en 2001. Cette fois-là, je n’ai pas parlé du film, j’y suis allé juste pour voir. A l’époque, c’était un sujet tabou. J’ai pu rencontrer Mathias Waneux, aussi, un chef coutumier important, qui joue d’ailleurs dans le film. Il a plaidé notre cause, nous a servi de guide… En rentrant, j’ai commencé à écrire un premier jet. Les années suivantes, j’ai fait plusieurs aller-retour, j’ai rencontré les familles des victimes, le FLNKS : tout ça, il a fallu aller le chercher ! Et d’autant plus que les Kanaks ont une façon très particulière de procéder. Ils te disent « toi t’as l’heure, moi j’ai le temps ». C’est la coutume, il faut faire connaissance, il y a une prise de responsabilités de part et d’autre. Quoi que tu fasses là-bas, il faut demander une autorisation…

Et du côté des militaires ?

Bon, d’une part le GIGN n’a pas pu s’impliquer directement dans le film, mais l’on a quand même travaillé avec des personnes qui y ont travaillé. Et puis j’ai demandé à Benoit Jaubert, dont le père est militaire, de m’aider sur le scénar, justement pour clarifier les rapports des militaires entre eux pendant les événements… D’autre part, l’armée ne nous a rien prêté en termes de matériel… Du coup, quand le tournage a été délocalisé, sur une petite ile au large de Papeete, on a dû amener nous-mêmes 500 tonnes de matos, une infrastructure gigantesque… Je ne comprends pas… J’aurais préféré qu’ils m’aident. Il me semble que cela aurait favorisé la réconciliation, non ? Si encore j’avais cherché la controverse, mais non ! Je suis dans un travail humain, mon film doit appeler à la discussion, pas à la haine !

Une interview d’Ariane Allard (réalisée en septembre 2011 à Paris)

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L’ordre et la morale

De Mathieu Kassovitz

Avec Mathieu Kassovitz, Iabe Lapacas et Malik Zidi

Sortie en salle le 16 novembre 2011

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