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Holy Motors – drame de Léos Carax

23 juillet 2012
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Holy Motors

Un homme dans une limousine blanche, circulant dans Paris. Qui est-il ? On l’ignore. Ce Monsieur Oscar est protéiforme, tantôt endossant la peau d’un banquier, tantôt celle d’une mendiante. Il enchaîne les vies et surtout les morts ; se relève toujours mais semble peu à peu se laisser dévorer par ses rôles. Car ce doivent être des rôles : l’intérieur de la voiture, bourrée de malles à costumes, pourvue d’un miroir entouré de petits spots d’éclairage, ressemble à une loge de théâtre montée sur roues. Mais pourquoi joue-t-il, ce M. Oscar ? Il ressemble aussi à un tueur à gages, tant il meurt à la place des autres pour ressusciter en enfilant un simple masque.

Serait-il un ange de la mort, à l’instar de cette jeune fille qui veille au chevet d’un richissime vieillard mourant ? Il parle de machines désormais invisibles, de caméras qui ont disparu, d’émotions qui se virtualisent. Il prête son corps pour un étrange ballet amoureux, lumineux, recréant les ébats de deux monstres en symbiose corporelle grâce au procédé de la motion capture. Il se tait, grogne, se grime, se dévêt, crie, pleure, vit et meurt.

Leos Carax nous offre des pistes, mais il ne dévoile rien d’explicite. Holy Motors n’est – c’est le moins que l’on puisse dire – pas un récit linéaire. Au sens strict du terme, il ne raconte rien. Il emmène le spectateur par la seule force de l’image, dans une quête cinématographique d’amour, de sens et de mort. Il utilise comme matière première la puissance évocatrice du Septième Art pour s’adresser à l’imaginaire du spectateur et le guider dans une errance fantasmatique. Tous les cinémas sont présents alors : du film de truands au mélo le plus sombre, de la science-fiction à la comédie musicale. Et le cinéma est vécu comme cet art-somme, cet art-monde, devrait-on plutôt dire, qui convoque tous les autres : alors, dans un égout poétique, une Belle enlevée par une sorte de Quasimodo contemporain réfugié dans la fange au lieu des hauteurs de Notre-Dame, peut devenir une Pieta digne d’une toile du Tintoret. Un magasin désaffecté, jonché de cadavres de plastiques, peut convoyer à la fois le fantôme de Jacques Demy et les vertiges d’Hitchcock. La seule présence d’Edith Scob suscite toujours le souvenir de ces Yeux Sans Visage qui hantent la mémoire des cinéphiles, alors le clin d’œil / hommage nécessaire à Georges Franju lui est rendu.

Le corps de Denis Lavant, qui incarne ce Monsieur Oscar multiple et perdu dans l’infinité de ses possibles, est un transcripteur pour fantasmes d’écrans. En chacun de ces fantasmes, l’Eros et le Thanatos, l’Amour et la Mort. Et donc aussi la vie. Une vie dématérialisée, comme le cinéma d’à présent, qui s’étiole dans les artifices et qui porte la nostalgie de ses marques poétiques, des effets spéciaux à la Méliès, des premiers daguerréotypes animés, du temps où on le voyait se faire, avant qu’il ne soit dévoyé par cette grosse machinerie commerciale inhibante qu’est devenue Hollywood, désormais siège de l’industrie cinématographique. Où est donc la place des rêveurs ? La vie elle-aussi s’est dématérialisée. Dans les cimetières, les tombeaux ne sont plus le dernier refuge de l’Humain, mais préservent la mémoire de ceux qui ont disparu dans les limbes de leurs sites internet. Que reste-t-il de vrai ou de faux au beau milieu de cette farce cruelle ? L’acteur lui-même s’y laisse piéger, se perd entre ces « rendez-vous » qui le mènent vers sa propre fin.

« Demain, puis demain, puis demain glisse à petits pas de jour en jour jusqu’à la dernière syllabe du registre des temps ; et tous nos hiers n’ont fait qu’éclairer pour des fous le chemin de la mort poudreuse. Eteins-toi, éteins-toi, court flambeau ! La vie n’est qu’un fantôme errant, un pauvre comédien qui s’agite et se pavane durant son heure sur la scène et qu’ensuite on n’entend plus ; c’est une histoire dite par un idiot, pleine de fracas et de furie, et qui ne signifie rien… » s’exclame MacBeth, dans la fameuse tragédie éponyme de William Shakespeare – ou du moins dans la traduction de François-Victor Hugo. Leos Carax fait en somme à peu près le même constat, mais déplore en même temps que la tragédie de la destinée humaine l’anéantissement de ses rêves cinématographiques dans cette ère dématérialisée, où les moteurs les plus sacrés sont promis à la casse.

Ce n’est donc pas un hasard si à la fin une clef est remise, et encore moins, si c’est l’un de ces « moteurs sacrés » qui nous apprend que tout ceci n’était qu’une métaphore, étrange et fascinante figure de style d’un cinéaste en qui brûle en tous cas toujours le feu sacré.

Raphaëlle Chargois

4 étoiles

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Lumières de la presse étrangère 2013 (18 janvier)

  • Nominations : Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleur scénario et Meilleur acteur


Festival Télérama 2013
 (du 16 au 22 janvier)

  • Sélection Télérama

Prix Louis Delluc 2012 (14 décembre)

Festival International du film de La Rochelle 2012 (du 29 juin au 8 juillet)

  • Ici et Ailleurs – Longs métrages

Paris Cinéma 2012 (du 29 juin au 10 juillet)

  • Avant-premières et film d’ouverture

Festival de Cannes 2012 (du 16 au 27 mai)

 

Holy Motors
 

De Léos Carax

Avec Denis Lavant, Kylie Minogue, Edith Scob (Céline), Eva Mendes, Elise Lhomeau et Michel Piccoli

Image : Caroline Champetier // Son : Erwan Kerzanet, Katia Boutin, Josefina Rodriguez et Emmanuel Croset // Montage : Nelly Quettier // Décors : Florian Sanson

Durée : 115 min.

Sortie le 4 juillet 2012 

A découvrir sur Artistik Rezo :
– Festival de Cannes – 22 mai 2012
– les films à voir en 2012

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