Hervé Millet : “Le métier de distributeur, c’est faire le lien entre le produit fini et le spectateur”
Sorti tout droit d’un parcours professionnel dans le monde de la musique, Hervé Millet cultive son intérêt pour le 7e art à travers son activité de journaliste cinéma. En 2012 il décide, avec son associé, de fonder Destiny Films. Entre la production et l’exploitation, venez découvrir l’univers de la distribution.
Pouvez-vous nous présenter en quelques mots l’activité de Destiny Films ?
Destiny Films aujourd’hui c’est une trentaine de films sortis. Notre but, c’est de donner la chance à certains films que l’on voit assez peu au cinéma. On privilégie des films engagés, concernant l’environnement, mais pas que. Par exemple, le film Femmes d’Argentine, un documentaire argentin de Juan Solanas, relate le combat des femmes en Argentine pour la légalisation de l’avortement. On touche ici à un sujet qui n’a rien à voir avec l’environnement, mais plutôt politique ou social, donc obligatoirement engagé. Mais nous ne voulons pas nous limiter à ce genre non plus. Nous avons distribué le film Une Part d’Ombre, réalisé par Samuel Tilman et avec Fabrizio Rongione et Natacha Régnier. Ce film est un véritable thriller, sans engagement social prononcé.
Notre but va au-delà de la sortie d’un film. On ne veut pas uniquement le laisser vivre sa vie. Aujourd’hui, au regard du nombre de films et de distributeurs, ça ne marcherait absolument pas. Notre but c’est d’accompagner le film, trouver des partenaires médias mais surtout associatif. Et que ceux-ci soutiennent les films en tant qu’intervenant ou eux-mêmes organisateurs de soirées débats dans les cinémas. Par exemple, Amnesty International était partenaire de Femmes d’Argentine. Comme elle a des antennes sur toute la France, chaque antenne va pouvoir aller voir le cinéma de la ville et proposer le documentaire. Nous cherchons à proposer au public autre chose que la simple vision du film, nous souhaitons avoir quelqu’un qui puisse derrière répondre aux questions des spectateurs.
C’est pour ça qu’on a créé Destiny. Pour essayer d’avoir quelqu’un sur place, le réalisateur ou une association partenaire, et apporter au spectateur un autre éclairage. Ça peut changer son regard sur le film.
En quoi consiste le métier de distributeur ?
Le métier de distributeur, c’est faire le lien entre le produit fini et le spectateur. Contrairement à beaucoup de distributeurs, largement plus gros que nous, on ne se met pas à la base d’un projet. C’est-à-dire qu’on ne signe pas sur scénario. On signe uniquement quand on peut voir une première version du film. Si le premier montage nous intéresse, on va s’engager à ce moment-là.
Il y a beaucoup d’étapes pour arriver du jour où on a le premier contact avec le réalisateur, le producteur ou le vendeur jusqu’à la sortie commerciale. Premièrement, il y a les étapes techniques : il faut créer l’affiche, la bande-annonce et le dossier de presse. Ensuite, il y a obligatoirement tout le travail de l’attaché de presse et le travail de la programmation auprès des cinémas. On rajoute à ça le travail de recherche de partenaires. Donc il va se passer minimum 6 mois. Et ça peut aller bien au-delà, suivant notre calendrier aussi.
Nous prenons en charge tout ce qui est promotion. Il y a un coût financier qui est assez important pour une sortie au cinéma. Il faut organiser une projection presse, une avant-première officielle, ainsi que payer un programmateur extérieur. Généralement, les spectateurs ne connaissent pas très bien le métier de distributeur. Ils sont extrêmement loin d’imaginer qu’effectivement, c’est le distributeur qui paye les frais de sorties.
Quelles sont les problématiques auxquelles vous faites face ?
Aujourd’hui la difficulté, pour un petit distributeur, c’est de faire exister son film. Il sort entre 15 et 20 films par semaine au cinéma. Le problème aujourd’hui est de trouver les écrans, même s’il y a plus de 2 000 cinémas en France. Sur cette déferlante hebdomadaire, on va avoir 5 blockbusters tels que les films de super-héros américains, les Disney, les comédies françaises et autres. Ensuite, il y a les grands films d’auteurs, les Woody Allen, Almodóvar et les films qui ont été à Cannes.
Nous on se place bien derrière tout ça. Nous ne sommes donc absolument pas prioritaires. Pour nous le seul moyen d’exister, c’est de proposer aux exploitants et aux spectateurs, une autre approche des films et encore une fois cet accompagnement qui est la seule façon de faire exister nos films. Sans ça on aurait une programmation tout à fait anecdotique.
Dans quelle mesure votre activité a-t-elle été impactée par la fermeture des cinémas ?
Pour essayer de résumer, on a sorti le documentaire Femmes d’Argentine le 11 mars, soit 4 jours avant la fermeture des cinémas. C’était une vraie catastrophe, d’autant plus que le film avait un vrai potentiel : on a fait beaucoup d’avant-premières. On était en partenariat avec Amnesty International, la Ligue des Droits de l’Homme et beaucoup d’associations autour du thème de l’avortement. Nous avons décidé de ne pas le ressortir le 22 juin. D’ailleurs, je ne le regrette pas. Quand je vois la très longue liste des films qui ressortent, je me dis que nous n’aurions pas trouvé de place. Par contre, on a choisi de travailler sur une date unique, qui est le 28 septembre. C’est la journée mondiale du droit à l’avortement. En accord avec nos partenaires, notre but est d’organiser un maximum de soirées débats avec les exploitants qui le souhaiteront.
Nous avons été contraints de décaler la sortie à 2021 de Empathie et Frères d’Armes, prévus en 2020. Concernant The Last Tree, magnifique film anglais, on se retrouve à annuler la sortie en salles, il sortira directement en VOD. On garde notre sortie le 5 août de Le Défi du Champion. Enfin, on garde le 4 novembre Basta Capital. On espère un retour à un rythme normal et classique en 2021, pour donner une vraie chance à nos films.
Comment appréhendez-vous le retour du public dans les salles ?
Je pense qu’il y a plusieurs choses à prendre en compte. La première est que le cinéma reste le loisir préféré des Français. Les gens attendent de retourner au cinéma, il y a une envie, et ça c’est très important.
Deuxièmement, aujourd’hui les gens ont assimilé les gestes barrières et les conditions sanitaires. Donc ce n’est pas une barrière pour pouvoir retourner au cinéma.
Troisièmement, les cinémas vont rouvrir avec un siège sur deux. C’est donc plus un problème pour les exploitants que pour le public. Mais je pense, j’espère, que le gouvernement sera obligé de prendre la décision d’enlever ces barrières, dans le cas où le risque d’une deuxième vague est totalement écarté. Les cinémas vont alors pouvoir accueillir les spectateurs normalement. Si les gens se sentent en sécurité, il n’y a aucune raison qu’ils ne retournent pas au cinéma.
Pour en apprendre plus, rendez-vous sur le site internet de Destiny Films.
Propos recueillis par Célia Taunay
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