Hannah Arendt – biopic
Envoyée à Jérusalem pour y couvrir le procès d’Adolf Eichman, responsable de la déportation de milliers de juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, la philosophe allemande naturalisée américaine Hannah Arendt va publier à l’issue une série d’articles qui vont faire scandale. Elle y développe le concept de la banalité du mal qui se heurte à une incompréhension générale, provoquant son isolement.
Venue présenter son film en avant-première au Goethe Institut de Paris, la cinéaste Margarethe Von Trotta s’est livrée à un jeu de questions/réponses avec le public à l’issue de la projection. L’idée de faire un tel film aujourd’hui sur une philosophe peut sembler plus qu’incongrue. « L’idée n’est pas venue de moi mais de ma scénariste et ce, dès 2002. Trouver l’argent n’a pas été une mince affaire car la première question qu’on nous posait à chaque fois était « Hannah qui ? ». Par ailleurs, l’idée qui s’est rapidement imposée fut non pas de faire un biopic classique mais de focaliser sur le vrai sens qu’avait donné Hannah à sa vie : la pensée ».
Le pari est gagné. Haut la main. La cinéaste réussit en effet grâce à une mise en scène d’une remarquable fluidité à filmer un des sujets les moins cinégéniques qui soient, la pensée en action. Pour ce faire, elle va recourir aux codes du thriller, menant un vrai suspense, désamorçant toute emprise mélodramatique à son sujet. Evitant ce piège dans lequel serait tombé bien des cinéastes, Wajda en tête, elle mène son film avec une inexpugnable force militante (von Trotta affiche clairement son féminisme et sa filmo ne peut démentir ce crédo, de « L’honneur perdu de Katharina Blum » à « Rosa Luxembourg »). Là où elle aurait pu mener une histoire d’amour banale entre Arendt et son professeur Heidegger elle a préféré évoquer la relation avec le mari. Elle nous explique : « Heidegger et l’influence qu’il a eu sur Arendt n’est pas le sujet du film. Si j’avais voulu faire une love story sur Hannah et Marty, je n’aurais pas eu de problème pour trouver le financement. Mais son mari avec lequel elle a passé 36 ans était plus important ».
C’est ainsi que la cinéaste nous présente à la fois le portrait d’une intellectuelle mais aussi celui d’une femme. La complicité avec le mari donne lieu à de formidables scènes. « Elle était comme ça. Penseuse et une très bonne housewife. Contre le pantalon chez les femmes, par exemple. Son mari a été d’une grande aide pour elle. Il était comme son côté invisible, dans l’ombre. Du coup, en public, elle le mettait plus en valeur » poursuit la cinéaste. La formidable Barbara Sukowa parvient avec le génie qu’on lui connaît (elle a beaucoup collaboré avec von Trotta) à transcrire à l’écran cette dualité. Elle porte ce film sur ses épaules avec un panache rappelant celui de Meryl Streep dans « La dame de fer ». La comédienne qui incarnera peut-être un jour Angela Merkel à l’écran insuffle cette concrétude à ce personnage qui évite de faire sombrer le propos dans un didactisme pesant. Le rationalisme de Hannah Arendt lui va à merveille.
Entrecoupé d’éléments d’archives du procès, ce biopic qui n’en est pas vraiment un puisque s’appuyant sur une très courte période de la vie de cette héroïne réussit également à maintenir une objectivité de bon aloi. La cinéaste ne s’immisce pas dans un débat, même si les propos de Arendt risquent de choquer encore aujourd’hui, en ces périodes où le communautarisme tend à se radicaliser. Elle ne cherche bien sûr aucune réconciliation entre Eichman et son pays (« Même si c’était un médiocre, c’était un criminel. C’était un homme dépourvu de pensée. On le voit d’ailleurs dans sa manière de parler. Il va jusqu’à faire des fautes de grammaire ! » ajoute la cinéaste), mais pas à insuffler non plus une dimension hagiographique à son sujet. Un film solide, passionnant et qui a permis en Allemagne, grâce au succès phénoménal qu’il a remporté, de redécouvrir les œuvres de cette femme hors du commun.
Franck Bortelle
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Hannah Arendt
De Margarethe Von Trotta
Avec Barbara Sukowa, Axel Milberg et Janet McTeer
Durée : 113 min.
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