Guillaume Gallienne : « J’aime l’ours Paddington, c’est vraiment une madeleine de Proust »
Paddington
De Paul King Avec Ben Whishaw, Hugh Bonneville et Sally Hawkins Durée : 95min. |
Guillaume Gallienne est la voix française du film d’animation «Paddington». Acteur, comédien, réalisateur, chroniqueur littéraire pour France Inter, sociétaire de la Comédie Française, on ne présente plus Guillaume Gallienne. Interrogeant les frontières du genre, de l’interprétation, de l’individualité, il répond à nos questions via une interview passionnante, à l’occasion de la sortie du film.
Quel rapport avez-vous avec Paddington ? J’aime l’ours Paddington, c’est vraiment une madeleine de Proust : j’ai lu Paddington enfant, en anglais, et mes parents m’avaient rapporté une peluche d’Angleterre. J’ai accepté le film en partie pour cette raison, mais aussi pour le casting ; J’adore Hugh Bonneville, un très bon acteur, qu’on connait en France dans Downtown Abbey, mais je suis aussi fan de Julie Walters qui joue Mrs Bird. Elle est célèbre pour avoir incarné Molly Weasley, la prof de danse de « Billy Elliot ». J’ai trouvé Nicole Kidman démente également. Je voulais par ailleurs faire quelque chose pour mon fils, qui à sept ans et demi, ne peut pas encore regarder « Les Garçons et Guillaume à table » et « Yves Saint-Laurent ». J’ai été très agréablement surpris par la prouesse technique du film : l’image de synthèse est dingue, on a vraiment l’impression que Paddington est dans la pièce. Tout comme Ben Wishaw dans la version originale, je n’ai donc pas du tout maquillé ma voix. Le film étant drôle et cocasse, original, inutile de jouer une voix, au contraire de « U » où j’étais la voix de Lazare le lézard, avec une voix beaucoup plus maquillée, et un personnage qui s’imposait à moi. A propos de la voix, pouvez-vous revenir sur votre parcours vocal, notamment le fait que vous êtes allé voir un phoniatre à l’âge de 12 ans ? J’ai travaillé avec une phoniatre pendant quatre ans, deux fois par semaine, pour trouver ma voix. C’était une démarche thérapeutique, la voix étant un élément fondamentalement lié à l’inconscient dans le corps humain. Il y avait du boulot. Elle me disait de déclamer « oui oui oui oui » « non non non non » sur un ton de baryton (voix grave NDLR) et elle me demandait « Comment va votre mère » et je répondais (voix de fausset, NDLR) « Très bien ! ». Je ne me réécoute jamais, c’est pour ça que je dois dire autant de conneries (sourire, NDLR). Ainsi, pour mon émission sur France Inter « ça ne peut pas faire de mal », j’ai une telle confiance dans le réalisateur Xavier Pestuggia, que je ne décide pas à l’avance ma façon de lire le texte, je procède directement. C’est le texte qui modèle ma voix, plus grave ou plus aigüe, ou plus légère, et tout d’un coup, le rythme s’accélère ! Le français est la seule langue au monde où l’accent tonique est libre de choix. C’est un travail d’orfèvre, mais dans le cadre de Paddington, le film a nécessité très peu de prises. Je n’ai pas été confronté à ces horribles questions liées à la création : le personnage était déjà prêt, j’avais juste à le jouer. Comment s’est passé l’adaptation des « Garçons et Guillaume » de la scène à l’écran ? Je voulais faire un film depuis le début. C’est drôle parce que les gens pensent que je contrôle ma carrière, mais tout est question de rencontre. Je savais qu’il était impossible de monter le film dès le début, mais il était hors de question que quiconque d’autre que moi joue mon rôle. J’attendais avec cette histoire dans ma tête. Je n’avais pas le droit de jouer dans Paris, à part dans les théâtres nationaux et je savais qu’ils n’allaient jamais me prendre. Or il se trouve qu’un jour Olivier Meyer, qui dirige le Théâtre de l’Ouest Parisien à Boulogne Billancourt, m’appelle et me dit « Je voudrais vous donner une carte blanche dans mon théâtre. – C’est quoi une carte blanche ? Parce que si c’est pour lire du Proust avec une harpiste derrière moi, je suis trop jeune. J’ai une histoire mais elle est très personnelle, venez chez moi je vous la raconte, vous me direz. » Il est venu chez moi, je lui ai raconté, il m’a regardé avec des billes : « D’accord, je vous donne dix dates l’année prochaine » « Non, douze » « ok ». C’était près de Paris, j’avais donc le droit d’y jouer, et je me suis lancé dans le projet comme ça : une carte blanche, ça implique peu de décors, une petite mise en scène, des tarifs attractifs. Les douze représentations ont provoqué un buzz de dingue, avec une presse comme je ne l’ai jamais eue de ma vie. Beaucoup de théâtres de province m’ont contacté pour la suite, j’ai été programmé à l’Athénée, où j’avais un producteur par jour dans ma loge ! Le film a pu se monter parce que, la même semaine que le coup de fil d’Olivier Meyer, Christelle Graillot de Canal + m’a appelé pour me proposer un programme télé court, que j’ai refusé. Et elle, très intelligemment « Ah mais oui, évidemment, je comprends, en tant que sociétaire de la Comédie Française… » « Mais non, aucun rapport, ce n’est pas parce que je suis sociétaire que je ne peux rien faire, on pourrait faire ça, et ça et ça… » Et elle : « C’est génial, j’adore l’idée ! On se rencontre pour en parler ? » Je ne regrette pas du tout, car je me suis éclaté pendant deux ans, mais j’ai travaillé comme un taré. On oppose traditionnellement théâtre et cinéma en France, art noble et art populaire. Qu’en pensez-vous ? L’âge d’or du cinéma français a été incarné par des acteurs du théâtre et du Conservatoire, et c’est vrai qu’il y a eu une longue période où les réalisateurs ne venaient pas au théâtre, mais c’est en train de changer. On voit beaucoup d’acteurs de la Comédie-Française qui arrivent à cumuler les deux carrières, même si ce n’est pas du tout le même travail. Au cinéma, il y a un lâcher-prise dans l’invention, car on ne connait pas forcément le cadre, alors que le théâtre est l’art du refaire. Le cinéma se rapproche plus de « l’art de se laisser faire », selon moi. Lucrèce Borgia a joué à guichets fermés, 40 représentations en deux mois à la Comédie Française, durant l’été 2014. Comment avez-vous travaillé le personnage de Lucrèce ? Avec facilité ou dans la douleur ? J’avais accepté ce rôle il y a longtemps, avant Cannes, donc je ne m’attendais pas du tout à l’effervescence autour de mon film. Ça a été très compliqué : est-ce que j’arrivais sur scène en femme ? Est-ce que j’imposais quelque chose de très féminin ? Est-ce que je jouais de manière intérieure ? On s’est longtemps posé des questions. J’ai dû me débarrasser de pas mal d’idées en répétition, car le rôle est compliqué. C’est au départ un mélodrame de Hugo, mais la mise en scène de Denis Podalydès la rend plus proche d’une tragédie shakespaerienne, et l’éloigne du grand drame romantique. Nous la reprenons l’année prochaine, du 14 avril au 19 juillet 2015. Pouvez-vous faire un parallèle entre la mise en scène française et la mise en scène britannique ? Vous retournez en Angleterre cette semaine ? Oui, « Paddington » sort le 4 décembre et « Les Garçons et Guillaume » le 5 ! Je pense que le film va marcher, l’humour est british mais en même temps le film est plus poétique que british. Les décors avec cet arbre dans l’escalier qui fleurit au fur et à mesure, c’est d’une beauté… C’est ravissant. Et l’humour s’adresse à toutes les générations ! Le film dépasse la simple carte postale de l’Angleterre, ce côté ravissant de la culture anglaise, léger et parfois trash, comme chez Ken Loach. Malgré la difficulté croissante de la vie à Londres, bien différente de ce que j’ai vécu à l’adolescence, je continue à adorer la culture britannique, la campagne anglaise qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige ! Les scones, le thé et le cosiness… Propos recueillis par Mathilde de Beaune [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=NxPMBNNG9eQ[/embedyt] [Crédits Photo : © Abaca ; © Christophe Raynaud de Lage/WikiSpectacle] A découvrir sur Artistik Rezo : |
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