Gare du Nord – comédie dramatique de Claire Simon
Parce que Polisse ressemblait beaucoup, en bien moins délicat, à ses touchants Bureaux de Dieu, on se prend devant le film de Claire Simon à imaginer ce qu’aurait fait Maïwenn d’un matériau semblable. Sans doute se serait-elle rapprochée davantage des hordes d’êtres humains menaçants, hommes en mal de compagnie ou junkies courant après leur dose, qui peuplent les abords de ce lieu si polymorphe. Sans doute aurait-elle tenté d’aller à fond dans le social quitte à racler autant que possible dans les recoins les plus crasseux de la fameuse gare. Claire Simon, elle, s’y prend en tout cas autrement. Sans jamais se mettre d’œillères, elle descend en apnée dans le dédale des zones commerciales, des locaux techniques et des voies ferroviaires, décrivant le lieu comme on réalise le portrait d’une personne qui nous fascine.
La majeure partie du temps, Gare du Nord épouse le regard d’Ismael (Reda Kateb, comme toujours excellent), qui y déambule chaque jour afin d’alimenter la thèse qu’il consacre à ce lieu où des centaines de milliers de personnes se croisent chaque jour, greffant leur petite histoire personnelle à la grande histoire de la gare. Ismael voit la Gare du Nord comme un gigantesque village à l’image du monde, où chaque habitant traine avec lui son vécu, ses réussites comme ses échecs. Il rencontre des personnages atypiques, échange avec une enseignante qui le prend sous son aile malgré le cancer qui la ronge (Nicole Garcia, magnifique femme blessée)… En marge de cela, un spécialiste des caméras cachées (François Damiens dans son presque propre rôle, idée géniale) recherche sa fugueuse de fille, tandis qu’une trentenaire de plus en plus convaincue d’avoir raté sa vie tente de trouver le courage de réagir (Monia Chokri, protégée de Xavier Dolan, qui convainc pour son premier rôle en France). L’écriture de Claire Simon et ses envies de laisser libre cours au tempérament du lieu et de ses habitants transforment Gare du Nord en autre chose qu’un film choral : c’est une œuvre aussi mouvante qu’immobile (on ne quittera jamais l’enceinte de la gare), qui effectue de brillants grands écarts entre envolées documentaires et tentations irréelles.
Le plus perturbant, c’est qu’entre deux passages qu’on jurerait pris sur le vif tant ils semblent authentiques et naturels, la cinéaste injecte crescendo des éléments surnaturels ou oniriques qui viennent rompre la routine et secouer le récit. La présence d’un voyageur fantôme aura notamment plus d’une conséquence sur les étapes du parcours de certains personnages, et sur les choix qu’ils seront sans doute amenés à effectuer pendant et après ce que nous montre le film. La belle poésie du traitement empêche le film de sombrer dans le farfelu ou l’invraisemblable ; de fait, Gare du Nord ne cesse de nous secouer positivement, de transformer cette ruche géante en monument de magnétisme, et de confirmer le talent singulier d’une Claire Simon qui n’est jamais aussi à l’aise que lorsqu’elle démonte un dispositif documentaire pour en faire son terrain de jeu à elle.
Thomas Messias
[embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=bpMudPLh21M[/embedyt]
Gare du Nord
De Claire Simon
Avec Reda Kateb, Nicole Garcia, François Damiens, Monia Chokri…
Durée : 119 min.
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