Festival de Cannes 2012 – une pluie d’étoiles
Une, deux, trois, quatre étoiles… A force d’accumuler les projections, donc les films, et pour ne pas trop s’emmêler les images ni les neurones, nombre de festivaliers en sont déjà à fixer le baromètre de leurs préférences par le biais non pas de degrés Celsius (il fait frisquet sur la Croisette) mais par celui — plus logique — d’étoiles. Cinéma oblige !
- « Alors, le Audiard ? Trois étoiles largement, nan ? »
- « Ouais, ben dans ce cas, le Haneke, c’est du 4 étoiles, voire la Palme assurée ! »…
Certes, ce système de cotation est aussi lapidaire que subjectif, mais il a le mérite d’éviter que les conversations ne s’enlisent, entre deux files d’attente et trois rangées de parapluies. Voire d’éviter les fâcheries. De fait, à mi-parcours, le cinéphile en goguette comme le critique professionnel accusent une très légère baisse de tension, sinon d’attention ! Une, deux, trois, quatre étoiles : histoire de défier la météo — et notre mémoire, tout aussi joueuse —, voici un petit palmarès intermédiaire, établi sur une vingtaine de films vus en 5 jours et demi dans les quatre sections que sont la Compétition pour la Palme d’or, Un certain regard, La Semaine de la critique et la Quinzaine des réalisateurs. En attendant… que le soleil ne revienne, et que le jury de Nanni Moretti ne décerne ses bons points officiels le dimanche 27 mai !
4 étoiles
Trois longs métrages, déjà, peuvent se prévaloir de ce scintillement suprême. Celui qui provoque éblouissement, grâce, et… incidemment rassure sur l’ambition et la qualité du cinéma contemporain. A tout aîné tout honneur : Alain Resnais, ce lundi 21 mai, a saisi nombre de journalistes. Son nouvel opus, Vous n’avez encore rien vu, variation libre – ô combien – sur l’Eurydice de Jean Anouilh, ressemble à s’y méprendre à l’œuvre-testament d’un magicien de l’image et des mots. Beauté des décors, des lumières spectrales, des artifices comme autant d’hommages au cinéma et au théâtre, arts de l’illusion qui disent tant de vérités, pourtant, sur nos amours, nos vies, nos peurs, nos joies et nos défaites. Pour qu’Eurydice survive, Orphée ne doit pas la regarder : tel est, peu ou prou, le mythe des Grecs anciens. Pour qu’Alain Resnais, élégant cinéaste de 90 et quelque printemps, ne cesse jamais d’exister, il faut en revanche, voir ce film et tous les autres : paradoxe enchanteur, qui lui ressemble si joliment ! Sa troupe de comédiens, par ailleurs, de Lambert Wilson à Pierre Arditi, de Michel Piccoli à Anne Consigny ou Denis Podalydès, déploie comme jamais son talent.
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Autre « Quatre étoiles » : celui accordé à Michael Haneke et son film Amour. Il est le seul, pour l’heure, à faire « à peu près » l’unanimité dans la presse, qu’elle soit spécialisée, grand public ou radicalement cinéphile, mais encore dans les couloirs (pourtant bruissant de mille rumeurs et contradictions) du Palais. Beaucoup, de fait, lui décerneraient volontiers une Palme anticipée (qu’il a bel et bien reçue, cela étant, pour « Le Ruban blanc », son film précédent !). C’est dire si cette chronique d’un couple âgé, mis à l’épreuve de la maladie – donc de la mort, là aussi… — a su toucher au plus profond de chacun, quels que soient son pays et sa culture d’origine. Sans pathos, sans pitié non plus : on reconnait bien là la manière du cinéaste autrichien — compacte, implacable mais juste —, qui a tourné (comme souvent) en France, avec deux remarquables comédiens français : Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva. Ces deux-là, fragiles, modestes et incandescents à la fois, peuvent largement prétendre à un prix d’interprétation.
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Dernier « Quatre étoiles » : il se situe aux antipodes, puisqu’il concerne le premier long métrage d’un jeune cinéaste américain de 29 ans, à savoir l’extraordinaire (au sens propre comme au sens figuré) Beasts of the Southern Wild (« Les Bêtes du Sud sauvage » en VF) de Benh Zeitlin. Soyons clairs d’emblée : il n’aura pas la Palme puisqu’il concourt dans la sélection parallèle de « Un certain regard » (il a d’ores et déjà reçu le Grand Prix au Festival de Sundance). Mais soyons précis aussi : cette chronique en forme d’apocalypse, plongeant le spectateur à la fois dans un bayou de la Louisiane d’aujourd’hui et dans le Déluge d’une Bible désertée par Dieu, cette fable scandée merveilleusement par une petite fille de 6 ans est l’une des plus belles promesses que le cinéma indépendant d’outre-Atlantique ait faite depuis longtemps. Montée des eaux, déclin du père, quête d’une mère mythique : le cinéaste ose tout et sa fillette « Tom boy » avec lui, happée par la force d’une nature qui jamais ne la brise pourtant. Dans la tourmente de cette tempête hors norme, c’est aussi, bien sûr, une bonne part de l’histoire des Etats-Unis, entre barbarie et civilisation, qui fait irruption, avec ses utopies, ses déclassés, ses peurs, ses croyances et ses dérèglements (climatiques, notamment). La forme est lyrique (alors que le budget est modeste), galvanisée par une musique puissante, l’audace est bluffante (il en fallait pour ressusciter, notamment, ces créatures féroces et mythologiques que sont les Aurochs !), et l’émotion, évidemment, est au rendez-vous. Une émotion irrésistible, nous renvoyant à nos fêlures les plus anciennes, à nos élans les plus primitifs. Une Caméra d’or (la Palme du premier film) ne serait pas volée !
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Trois étoiles
Ne revenons pas sur De rouille et d’os (lire notre critique sur Artistik) : le bel opus de Jacques Audiard a, de fait, reçu un bel accueil sur la Croisette et… dans les salles itou depuis ! Trois autres propositions, Moonrise Kingdom de l’Américain Wes Anderson, La Chasse du Danois Thomas Vinterberg, et The we and the I, du Français Michel Gondry, divisent un peu, beaucoup ou passionnément. Elles méritent, chacune, pour des raisons évidemment différentes, un « Trois étoiles » sans conteste ! Le premier pour la singularité totale de son univers, aussi bien graphique (très soigné, option pop acidulée) que dramaturgique (une histoire d’amour entre deux pré-ado sur une île pas tout à fait déserte…). Le burlesque doux et tendre de Wes Anderson se mâtine ici d’une tristesse plus adulte, jamais appuyée (plutôt hors champ, en quelque sorte) : on peut y être totalement réfractaire ou adhérer sans condition, c’est selon ! En aucun cas, la demi-mesure ne peut être de mise…
Plus classique semble être, de prime abord, La Chasse. D’autant plus qu’il est signé Thomas Vinterberg, l’un des promoteurs (il y a une quinzaine d’années) du « Dogma », incidemment auteur-réalisateur du fameux, dérangeant et transgressif Festen. On aurait donc pu s’attendre, vu le sujet traité – un enseignant accusé à tort de pédophilie et mis au ban de sa communauté et de son village – à un minimum de trouble, voire de chahut, ne serait-ce qu’à l’image (caméra portée, etc.). Nenni ! Le cinéaste choisit, avec sobriété et élégance, justement, une narration et une direction d’acteurs classiques. Ce qui, loin d’être académique, donne finalement une force supplémentaire à cette chronique d’une rumeur sale et d’une destruction ordinaire (d’un individu par une collectivité). Le comédien Mads Mikkelsen, en outre, est impeccable !
Quant au long métrage futé et très travaillé à la fois de Michel Gondry, une traversée d’une heure et demie du Bronx (à New-York), dans un bus qui sert à la fois de moteur, de scène de théâtre, et d’écho aux rumeurs du monde alentour : c’est, tout simplement, une comédie d’une vivacité et d’une fluidité formidables ! D’autant plus qu’elle nous plonge dans l’affect, le langage, la frime et la sensibilité des ados new-yorkais avec une drôlerie et une sensibilité rares.
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Deux et une étoiles
Avant-dernière graduation de ce baromètre cinéphile, le « Deux étoiles », qui, en langage cannois, peut signifier aussi bien « oui, bof, mais bon, quand même ! », mais encore « Un peu décevant, mais ça reste du vrai cinéma, non ? », ou enfin « L’idée est chouette, mais la réalisation ne suit pas » (avec la variante, « tel comédien est insuffisant »). « Deux étoiles », en somme, c’est une « alternance de soleil et d’ondées », raccord avec la météo de cette fin mai !
Dans ce registre, un film, pour l’heure, est assez emblématique de ce degré médian : Au-delà des collines, du cinéaste roumain Cristian Mungiu. On se souvient de sa Palme d’or superbe pour 4 mois, 3 semaine, 2 jours en 2007. Pour cette édition 2012, il s’attaque à nouveau à un sujet difficile : non plus l’avortement clandestin, mais les dérives de la religion et de la superstition, à travers un exorcisme pratiqué dans un monastère d’aujourd’hui, mais vivant à un rythme quasi-médiéval et… ce qui s’en suit. Le soin apporté aux images, l’esthétique crépusculaire, quasi picturale, jouant notamment sur toute la palette des clairs-obscurs, est d’une justesse et d’une évidence frappantes. Tout autant que le jeu étonnant de naturel et d’intensité des jeunes nonnes. Le rythme de la narration, toutefois, d’une lenteur frisant l’étirement inutile, neutralise la puissance visuelle et dramaturgique de l’ensemble. Introduisant même, çà et là, un sentiment de bégaiement, voire de répétition. Ce film, sombre à tout point de vue, est néanmoins remarquable. Littéralement.
Beaucoup moins, en revanche, sont les ouvrages estampillés d’une pauvre étoile. Par pudeur, on se contentera de les mentionner : ainsi Après la bataille, du cinéaste égyptien Yousry Nasrallah (peu de moyens et beaucoup de maladresses, aussi bien au niveau du scénario que du jeu des acteurs) ou encore Antiviral, de Brandon Cronenberg (oui, le fils de David… Là encore peu de moyens, et… ça se voit, hélas !). Nul besoin de s’appesantir sur ces films réceptionnés avec fraicheur. Une, deux, trois ou quatre étoiles : l’idée étant, au départ, de rendre les cieux plus cléments, rien de tel qu’une pluie d’étoiles pour bouter pluie et frimas hors de la Croisette, n’est-ce pas ? D’autant qu’il reste encore cinq jours pour y croire, et une vingtaine de longs métrages à voir…
Ariane Allard
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