Femmes du Caire de Yousry Nasrallah
Hebba et Karim forment un couple digne d’un roman de Jay McInerney : jeunes yuppies des médias, vivant dans un appartement cossu perdu au milieu d’une mégalopole grouillante. Elle, animatrice d’un talk-show politique éminemment critique et impertinent, lui, rédacteur en chef adjoint d’un journal contrôlé par le pouvoir. Pour ne pas entraver ses ambitions de devenir khalife à la place du khalife, Karim enjoint Hebba d’alléger le ton de son émission. Elle accepte, en décidant de se consacrer aux faits divers impliquant des femmes. Très vite, cette nouvelle formule connaît le succès. Mais raconter des histoires de femmes victimes de violence conjugale ou de misogynie s’avère finalement encore plus politique et plus dérangeant…
A l’instar d’un Douglas Sirk ou d’un Pedro Almodóvar, Yousry Nasrallah a voulu rendre hommage aux femmes, à leurs luttes quotidiennes dans un monde masculin étouffant et à leurs contradictions. Et de magnifiques portraits féminins, il n’en manque pas, quel que soit le milieu : de la haute bourgeoisie, de l’intelligentsia, jusqu’aux femmes voilées des milieux populaires. Ainsi Hebba, journaliste-animatrice est l’archétype de la femme occidentale, sophistiquée, autonome, mais aussi une sorte de Shéhérazade des temps modernes. C’est ainsi un microcosme de la société égyptienne qui se révèle sous les témoignages des invitées de son émission.
On pourrait reprocher à Yousry Nasrallah un manque de nuance dans l’exploration des sentiments et des motivations de ses personnages. Il emprunte en effet délibérément aux codes du mélodrame et de la saga populaire, avec les effets attendus que l’on craint. Il n’en est rien. Au contraire, le film est animé d’un souffle romanesque où la tragédie affleure, où les exagérations ne visent qu’à dénoncer le fonds du propos. C’est l’hypocrisie, la rigidité d’une société égyptienne tenue par les lois machistes du patriarcat (le personnage de Hebba est directement inspiré d’une speakerine libanaise apparue un jour à la télévision couverte d’ecchymoses suite aux coups infligés par son conjoint), un pouvoir politique gangrené par la corruption et le règne d’un président attaché à son trône.
Pourtant, dans cette société encore dominée par la misogynie, où les personnages masculins apparaissent comme des êtres lâches et vils parfois, les héroïnes osent parler ouvertement de sexualité. Et fait suffisamment rare pour être noté dans un film égyptien, le réalisateur n’hésite pas à montrer le désir, dans toute sa fièvre et son urgence.
Film féministe et sensuel, « Femmes du Caire » est un portrait au scalpel d’une société arabe en pleine mutation, avide de pacifier les relations hommes-femmes, mais pas encore prête à s’affranchir du joug de la tradition.
Roxane Ghislaine Pierre
Femmes du Caire
Un film de Yousri Nasrallah
D’après un scénario de Wahid Hamed
Avec Mona Zaki, Mahmoud Hemeda, Hassan El Raddad, Sawsan Badr, Rihad El Gamal, Nesrine Amin, Nahed El Sabaï, Mohamed Ramadan
{dmotion}xd3g89{/dmotion}
Sortie le 5 mai 2010
Articles liés
“Tant pis c’est moi” à La Scala
Une vie dessinée par un secret de famille Écrire un récit théâtral relatant l’histoire d’un homme, ce n’est pas seulement organiser les faits et anecdotes qu’il vous transmet en une dramaturgie efficace, c’est aussi faire remonter à la surface...
“Un siècle, vie et mort de Galia Libertad” à découvrir au Théâtre de la Tempête
C’est Galia Libertad – leur amie, leur mère, leur grand-mère, leur amante – qui les a réunis pour leur faire ses adieux. Ce petit groupe d’amis et de proches, trois générations traversées par un siècle de notre histoire, se retrouvent...
“Chaque vie est une histoire” : une double exposition événement au Palais de la Porte Dorée
Depuis le 8 novembre, le Palais de la Porte Dorée accueille une double exposition inédite, “Chaque vie est une histoire”, qui investit pour la première fois l’ensemble du Palais, de ses espaces historiques au Musée national de l’histoire de...