Essential killing – film avec Vincent Gallo
Il est des propositions inconfortables, complexes, pas forcément aimables et pourtant éblouissantes. Essential killing est de celles-là. Mieux, elle ne se refuse pas. D’abord parce que le nouveau film de Jerzy Skolimowski est, tout simplement, une leçon de mise en scène.
Explorant sans faillir les codes du cinéma d’action — on est plongé dans une chasse à l’homme, de bout en bout — le cinéaste polonais en dilate tous les repères, que ce soit en termes de durée (atemporelle, en fait), de décors (immenses, hostiles), et… de non-dialogues (son personnage principal est à peu près aphasique). Or, jamais ou quasiment, la tension et l’attention ne se dispersent. Sauf dans deux, trois scènes de flash-backs, peut-être un peu trop explicatives, ressenties en tout cas comme des intrusions, voire des altérations inutiles, au beau milieu de cette errance aux allures de parabole.
Cette poursuite extraordinaire, alignant des plans d’une beauté et d’une épure fatales, au cœur d’une forêt d’Europe de l’Est jonchée de neige et de pièges, emprunte également beaucoup à l’iconologie religieuse. Chrétienne, pour tout dire. Le visage émacié et hanté de Vincent Gallo, l’homme traqué façon Jésus homme des bois, y étant pour beaucoup. Du film d’action on passe donc au film métaphysique, spirituel. Et pourquoi pas ? Dans ce registre, c’est aussi ambitieux qu’inhabituel. Sauf que… même dans cette dimension-là, Essential killing n’est pas de tout repos !
Qui chasse ? Les Américains, a priori (on entend leurs voix off, au tout début, dans un hélico puis au sol), mais sans doute plus largement l’Occident. Qui est chassé ? C’est « la » question centrale, la plus intéressante, Skolimowski choisissant d’épouser, à rebours de nombre de blockbusters évidemment, le point de vue de la proie.
A vue de nez, de barbe et de « pakol » (chapeau en laine), il semblerait que ce soit un soldat afghan, et même, disons de façon « générique », un taliban. Premier trouble : tiens donc, un Afghan incarné (formidablement) par un acteur américain au visage christique, c’est pour le moins ambigu, sinon déconcertant. Et puis… Ce chemin de croix, est-ce bien « raisonnable » pour un musulman ?
De fait, cette proie symbolise surtout « l’Autre » absolu, dans toute son étrangeté, son mutisme désignant (notamment) l’impossibilité de communiquer : il résiste donc à nombre d’explications. Et de projections. On le suit, on l’observe, on l’accompagne, de son désert initial au camp où on le torture, jusqu’à cette forêt européenne, à perte de vue et pourtant opaque. Il est dans la survie. Et d’ailleurs, il tue lui aussi. Barbare et humain à la fois. Repoussant et poignant tout autant. Sa fuite est impossible, mais cela n’est, à aucun moment, réconfortant.
Jerzy Skolimowski, ample et juste à la fois, ne s’autorise (et ne nous autorise) ni l’empathie ni le jugement. Il est au-delà. Dépassant tous les paradoxes et tous les clichés, délaissant toute idéologie politique aussi, il donne à voir un film captivant sur la violence et… l’absence de sens. Radical mais très fort. Vraiment.
Ariane Allard
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A lire sur Artistik Rezo :
– Deep End de Jerzy Skolimowski
Essential killing
Film de Jerzy Skolimowski
Avec Vincent Gallo et Emmanuelle Seigner
Sortie le 6 avril 2011
A lire sur Artistik Rezo :
– les films à voir en 2011
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