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Entretien avec Christine Masson, chroniqueuse et productrice à Radio France

Christine Masson © Radio France - Christophe Abramowitz

Chroniqueuse de l’émission “On aura tout vu” sur France Inter en compagnie de Laurent Delmas, Christine Masson arpente le Festival de Cannes depuis bientôt 38 ans. Elle nous raconte sa vision de la radio et de l’évolution du festival au fil du temps.

Qu’est-ce qui vous est venu en premier, le journalisme ou le cinéma ?

Le journalisme en premier. J’étais petite et je regardais la télévision, il y avait une émission qui s’appelait Les Femmes aussi (1964) et je vois en reportage une journaliste qui interview une agricultrice et en voyant ça je me dit “je veux être cette journaliste”. J’avais 10 ans, révélation, ça m’est tombé du ciel. Quatre ans plus tard, je regarde un film de Ken Loach qui s’appelle Family Life (1971) qui m’explose la tête et je me dis “je veux être journaliste de cinéma”. J’ai eu l’occasion d’ailleurs de dire à Ken Loach des années plus tard que c’était grâce à son film que j’étais rentrée dans le cinéma.

Comment est-ce que vous fabriquez vos émissions, dans le sens artistique du terme ?

On la fabrique en deux parties. L’émission dure 45 minutes, il faut dire beaucoup de choses en 45 minutes. On a un premier plateau d’une demi-heure et un deuxième plateau de 10-15 minutes pour parler des sorties de la semaine.
Le premier plateau, on l’oriente vers des films qu’on aime, forcément. Si c’est vraiment un type de film qu’on aime beaucoup, un réalisateur important, une réalisatrice, on fait un focus sur cette personne. Mais en général, on a deux films face à face et on interviewe à partir de ces deux films, en mettant pas mal d’extraits, on pose des questions, etc. On oriente notre choix autour des deux films qu’on aime, on les met en exergue et après, on parle des dix autres films qui sortent le mercredi, qui précèdent l’émission. L’émission est construite comme ça depuis 16 ans. Ça fait 16 ans qu’on fait cette émission et c’est comme ça qu’on l’a conçue, mais elle est différente chaque semaine dans la mesure où l’on fait des films différents chaque semaine, on fait des thématiques, on fait des cartes blanches.

Là, à Cannes, on va faire une émission sur Traduire le cinéma. On va avoir une très grande traductrice et un très grand traducteur, mais après, ça peut être sur un film. Récemment, juste avant Cannes, on a fait La marche au cinéma avec l’historien Antoine de Baecque. Qu’est-ce qu’on a eu avant encore ? On a eu deux correspondants étrangers à qui on a fait parler des meilleures Palmes d’or de toute l’histoire. Chacun a choisi subjectivement ses Palmes d’or. C’est différent toutes les semaines, mais c’est un peu organisé comme ça. 30 minutes de plateau et 10 minutes pour les sorties.

Quelle est votre Palme d’or ? Toutes éditions confondues.

C’est une question affreuse parce que c’est mon 38e Festival et sur toute l’histoire des Palmes d’or. Si on va dans l’histoire récente, je dirais Parasite (2019) de Bong Joon-ho, le film coréen, qui, pour moi, est un film parfait. Le film parfait n’existe pas, mais c’est un film en termes de scénario, mise en scène, interprétation qui est absolument incroyable. C’est-à-dire qu’à tous les postes, le film est grandiose parce qu’en même temps, il y a tous les genres de films dans ce film. C’est un film politique, c’est un film d’horreur, c’est un film familial. C’est extrêmement intelligent comme scénario et la mise en scène est absolument incroyable parce qu’elle colle exactement aux propos. Les acteurs sont étonnants. J’ai vu ce film à Cannes, on est sortis de là, on s’est dit “on a vu la Palme”, on était sur un nuage et c’est le film qui dépassait tout. J’ai rarement vu ça dans toutes ces années de Cannes, un film qui faisait autant l’unanimité. J’ai rencontré Kelly Reichardt, la réalisatrice américaine qui faisait partie du jury cette année-là. La loi du jury cette année- là, c’était de dire “on parle des films seulement un jour après” et là, elle m’a dit “on est tous sortis de Parasite, on s’est précipités. On n’avait qu’une envie, c’est de parler de ce film.” Alors qu’il y avait des super films cette année-là. Il y avait le Tarantino, il y en avait d’autres. Celui-là était au-delà de toutes les espérances.

Est-ce qu’il vous arrive d’avoir des idées ou des flashs dans votre quotidien, d’idées d’émissions ou d’idées de films dont vous voudriez parler quand vous préparez une émission ?

En fait, l’émission est le samedi, j’y pense toute la semaine. C’est vrai que je prépare, on a des docs, on lit des choses, etc. Et puis, je suis dans le métro, je me dis “il faut absolument que je lui pose cette question-là”. Les idées viennent à n’importe quel moment. Et sur des idées de films, non, mais des idées de… C’est amusant de surprendre les gens qu’on interview, donc c’est rigolo de trouver des choses. Tout d’un coup, de penser à d’autres choses au film. “Il était dans ce film-là, donc il va pouvoir me parler de ça.” De faire des connexions. Et puis aussi de dire des questions qui partent de vous-mêmes. Il faut absolument dire ce qu’on pense à quelqu’un quand on le voit, quand on l’interviewe. Il faut parler de son ressenti. C’est comme ça que les gens que vous interviewez sont touchés, réalisateurs, producteurs ou acteurs. Il faut réfléchir aux films dont on va recevoir le réalisateur ou les acteurs. Il faut penser à des scènes en disant “tiens, mais dans cette
scène-là, il a fait ça. ça, mais pourquoi ?” ou des trucs de mise en scène, “pourquoi cette scène m’a interpellé à ce point- là ?” et dire “tiens, je vais lui demander au réalisateur pourquoi est-ce qu’il a mis la caméra là ?” Toute la semaine, je suis traversée par des questions que je vais poser le samedi, vraiment.

Jean-Luc Godard disait “la télévision crée l’oubli, le cinéma les souvenirs”. Selon vous, qu’est-ce que crée la radio ?

Le présent, l’intime, entrer chez les gens. Je crois que ça crée l’instantané, le présent, la
voix, l’intime.

En parlant d’intimité, est-ce que vous pensez que vos interviewés ont plus tendance à être à l’aise à la radio plutôt qu’à la télévision ? Est-ce qu’ils se livrent plus à la radio parce qu’il n’y a pas la caméra et la peur d’être vu ?

J’en suis entièrement persuadée. J’ai fait dix ans de télé, j’ai interviewé pour Canal+ des gens pendant dix ans et je pense qu’en arrivant à la radio, j’ai gagné 30% de plus de sincérité, je le calcule comme ça. Pas de maquillage, pas de brushing, pas de posture et que les gens sont bien plus à l’aise à la radio. C’est merveilleux parce qu’ils peuvent se lâcher, ils oublient. Il n’y a pas de caméra, donc il y a de l’oubli. Je trouve qu’il y a une parole plus
profonde à la radio, sûre et certaine de ça.

Comment se passe le processus d’écriture ? Est-ce que vous rédigez toutes vos émissions ou est-ce que c’est vraiment libre et de l’improvisation ?

Je rédige mon sommaire, qui est important, mais après, dans mes questions, non. J’ai quelques points de repère sur les thèmes sur lesquels je vais les interviewer, mais ce sera à Freud de rédiger. Et maintenant, je vais vous poser cette question-là. Non, je rédige le sommaire, je rédige les lancements pour les sorties de films avec Laurent, mais sinon, tout ce qui est questionnaire est plutôt libre. Et le direct fait qu’on a envie de tout à coup… Tout ce qui est écrit n’a aucune importance, parce que ça dépend de la parole de l’autre, donc ça se joue plus sur l’improvisation.

Merci à Christine Masson pour le temps qu’elle nous a accordé dans le programme chargé d’une journaliste cinéma à Cannes. Vous pouvez la retrouver tous les samedis de 10h à 11h sur France Inter ainsi qu’en replay sur le site de Radio France.

Baptiste Rémy, Christine Masson et Lou Bulthé-Maingard

Propos recueillis par Lou Bulthé-Maingard et Baptiste Rémy

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