De Bon Matin – film de Jean-Marc Moutout
Une matinée banale. Paul Vertret enfile son costume, noue ses lacets, boucle sa serviette de cuir, rajuste sa cravate, embrasse sa femme endormie. Il sort par la porte du garage, et se rend à pied à la banque d’affaires qui l’emploie. Très calme, il déballe alors un revolver, ouvre la porte du bureau du directeur et lui tire deux balles en pleine tête. Affolé par le bruit, le jeune directeur adjoint aux dents longues surgit. Deux balles dans le dos lui rétorquent que c’était une mauvaise idée. Mais sans se départir de son calme, Paul Vertret traverse la foule des employés paniqués pour aller s’asseoir dans son bureau, penser aux circonstances qui l’ont mené à ce geste fatal.
Inspiré par un fait divers survenu en 2004, Jean-Marc Moutout réalise avec De Bon Matin un film glaçant jusqu’à l’os, extrêmement habile dans sa façon de ménager une critique acerbe, toute en pudeur et en subtilité. Car décrivant un système social destructeur, il choisit pour ce faire l’angle de l’humain ; représente, selon les termes-mêmes de Jean-Marc Moutout, la « fragmentation » d’un homme peu à peu brisé par ce qui n’était au départ qu’un simple conflit de travail. Il ne cherche pas à couvrir sa déchéance de mots inutiles : Vertret n’est pas un homme bavard et se refuse toujours à nommer les causes, rechigne à se confier à ceux qui pourraient le comprendre ou lui venir en aide. Les insultes ne sont pas patentes. Le scénario, avec une grande intelligence, laisse s’installer dans les non-dits l’angoisse, les tensions, le mépris, les rivalités. Il décrit avec une froideur presque clinique le climat de harcèlement moral qui règne dans cette banque à laquelle Paul Vertret a consacrée sa vie et son talent. L’oppression est donc vécue dans toute sa douleur, renforcée par le contexte mis en place, effroyablement ordinaire.
De Bon Matin ne serait cependant sans doute pas aussi impressionnant si Paul Vertret n’était pas incarné avec une telle justesse par un Jean-Pierre Darroussin remarquable. Capable d’habiter l’image de sa présence, il laisse avec une parfaite maîtrise affleurer les failles qui gangrènent cet homme pourtant si solide. Bon père de famille, mari aimant, banquier doué, apprécié et respecté de sa clientèle, il se dresse face à sa hiérarchie par morale et souci d’équité. Mais derrière les éclats de voix, aucune communication ; face au psy, même quand il confie ressentir presque perpétuellement le besoin de pleurer, Vertret se tait. Droit comme un i, Darroussin ne laisse que son regard trahir le trouble inexprimable de son personnage. Toutes ses tentatives pour protester sont de toute façon avortées. Ainsi, lorsqu’il propose à une collègue licenciée abusivement de l’aider à se battre pour regagner son poste, celle-ci lui hurle de la laisser tranquille.
Poussé à bout, Vertret ne parvient plus à envisager d’autre solution que la mort de ceux qui incarnent le joug. L’image froide, les couleurs sombres, les sourires factices, la quasi-totale absence de musique en disent long sur le sentiment de déshumanisation qui écrase peu à peu un personnage dont le cadre de vie paisible ne semble même pas vraiment menacé ; en dépit de ses possibilités de rebond professionnel, Vertret est déjà socialement brisé.
Malgré tout, Jean-Marc Moutout se défend d’avoir voulu véhiculer un message de désespoir : si le système social est oppresseur, l’espérance se cache tout-de-même dans la croyance en l’humain. Il en ressort un film-choc, à méditer en ces temps de crise où l’individu semble perdre de sa valeur.
Raphaëlle Chargois
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De Bon Matin
De Jean-Marc Moutout
Avec Jean-Pierre Darroussin, Valérie Dréville, Xavier Beauvois et Yannick Rénier.
Sortie le 5 octobre 2011
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