Dans ses yeux – drame avec Ricardo Darín
Attention les yeux ! Un thriller, en forme de fresque romanesque, flirtant avec le mélo ? On conçoit qu’ Hollywood se soit emballé pour le nouvel opus de Juan José Campanella, au point de lui attribuer l’Oscar du meilleur film étranger cette année. Tout y est bien à sa place, en effet. D’autant que le cinéaste argentin, qui a fourbi ses armes dans nombre de séries télé américaines (« Dr House », par exemple), résiste clairement à la tentation auteuriste ! Sa réalisation, classique, voire un peu figée, ne cesse de vouloir séduire le spectateur, jusqu’au « happy end » attendu (donc superfétatoire). Alors ? Alors méfions nous des apparences… Comme semble nous dire, précisément, Dans ses yeux, film qui se révèle bien mieux qu’efficace : totalement hypnotique !
Passée la scène d’exposition, assez conventionnelle (25 ans après les faits, un homme décide d’écrire un roman sur une « affaire classée » dont il a été témoin et qui l’obsède) et même un rien ténébreuse (les arcanes judiciaires argentines, notamment le rôle exact d’un greffier, ne sont pas des plus claires), ce savant mélange de drame, de politique, de film noir et de romance transcende assez vite, en effet, son académisme formel. Grâce, tout simplement, à la force de son histoire, à la richesse de ses personnages et… à la classe formidable (et sexy) du comédien argentin Ricardo Darin (face à lui, Soledad Villamil est une révélation) !
Oscillant entre flash-backs et retours au présent, ce récit n’est jamais dans le bluff, en tout cas. Car s’il emprunte diverses ramifications, déroulant une logique implacable en terme d’enquête, c’est avant tout pour fouiller, quoi qu’il en coûte, le passé opaque, oppressant, arbitraire de l’Argentine des années 70. Celle de la dictature de Peron. Un contexte d’autant plus passionnant qu’il coïncide, subtilement, avec l’amour indicible de deux des protagonistes, empêchés par des origines sociales incompatibles. Chaque peur, chaque contrainte (l’une collective, l’autre privée) se fait donc l’écho de l’autre, amplifiant la grâce mélancolique de ce film en forme de regret, puis de réparation.
C’est dans cette extrémité-là, d’ailleurs – sa soif de justice – que Dans ses yeux, in fine, entre tout à coup dans une dimension bien plus abyssale que le seul plaisir combiné du drame lacrymal et du polar bien ficelé. On n’oubliera pas de sitôt l’ultime révélation de l’enquête : un modèle en la matière ! D’une si juste intensité visuelle et métaphorique… Puisqu’elle nous parle, mine de rien, de notre incapacité à l’oubli, quand bien même l’on s’obstine à fermer les yeux, et de la nécessité de se libérer – du souvenir, notamment – si l’on veut pouvoir vivre tout à fait. Dommage, encore une fois, que Juan José Campanella ait cru bon lui adjoindre un épilogue romantico-surligné… Pour le coup, il nous ouvre un peu trop les yeux !
Ariane Allard
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Dans ses yeux
De Juan José Campanella
Avec Ricardo Darín, Soledad Villamil et Pablo Rago
Durée : 129 min.
Sortie le 5 mai 2011
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