Interview de Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm
Valérie Donzelli, Jérémie Elkaïm, bonsoir. Pour commencer, pourquoi avoir choisi de prénommer les personnages principaux « Roméo » et « Juliette », mobilisant ainsi un référentiel plutôt chargé, et qui n’a a priori rien à voir avec le sujet de votre film ?
Jérémy Elkaïm : Précisément parce que c’est symboliquement fort. On voulait raconter une histoire d’amour, et on s’est dit qu’il fallait qu’on trouve des amoureux forts dans l’inconscient collectif. Pour cela, il nous fallait trouver des prénoms qui les identifient immédiatement comme étant des amoureux. On a donc choisi Roméo et Juliette.
Ca produisait aussi un autre effet : c’était un petit peu comme dire « une femme, un homme, un enfant », ça permettait de donner une dimension un petit peu plus générique à cette histoire.
Valérie Donzelli : Et ça induisait une distance par rapport à nous aussi, le côté romanesque.
Jérémy Elkaïm : Et puis c’était drôle. On s’est dit : Aujourd’hui si Roméo et Juliette se rencontraient, avaient un coup de foudre, au fond ils ne pourraient pas s’empêcher d’en parler. Ca a occasionné cette scène d’ouverture du film, qui nous amusait beaucoup.
[Jérémie Elkaïm fait référence à la scène de la rencontre entre les deux personnages, qui ricanent du lien que leur prénom établit entre eux et les amants shakespeariens. « Un destin tragique nous attend » déclare Roméo juste avant le premier baiser].
Et puis ça trahit la présence de quelque chose de plus inconscient : ce sont des personnages tragiques, et ils vont avoir un destin tragique, sauf que ce n’est pas leur amour qui va les tuer. C’est leur enfant qui va être frappé par la malédiction. C’est une idée inconsciente qui sous-tend tout le film, qui le traverse sans pour autant être nommée.
Justement vous insistez beaucoup sur la dimension romanesque du film. Pourquoi cette volonté de faire du « cinéma romanesque » ? A priori ce sont deux univers totalement différents, aussi cela semble un peu paradoxal…
Jérémy Elkaïm : Le romanesque tel qu’on l’entend ici signifie plutôt que l’on va construire de la fiction. C’est s’amuser avec le réel et être dans la fabrication. Ca ne veut pas dire que les personnages ne sont pas incarnés, mais ça implique que l’on reste dans l’imaginaire. Et donc, les enjeux peuvent être exacerbés, les histoires d’amour puissantes.
Il y a quand même des aspects très littéraires dans ce film, comme par exemple cette voix-off qui surgit pour raconter ce qui se passe à l’écran, alors que l’image pourrait suffire.
Valérie Donzelli : Non, c’est justement le plaisir de faire du cinéma, de composer avec plein d’éléments différents une œuvre cinématographique.
Jérémy Elkaïm : C’est que ça peut faire appel à tous les arts en même temps, la peinture, la littérature, la musique…
Vous avez expliqué durant l’avant-première que l’histoire vous touchait personnellement [Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm ont eu il y a quelques années un enfant, Gabriel, qui a souffert d’une tumeur maligne durant sa toute-petite enfance. Bientôt âgé de dix ans, il joue à présent dans le film] Non seulement c’est un peu votre histoire, mais vous l’avez écrite, vous l’avez jouée, vous l’avez dirigée. Comment vous êtes vous débrouillés pour raconter un récit aussi personnel tout en le mettant à distance pour en faire une œuvre cinématographique à part entière ?
Valérie Donzelli : Eh bien justement en racontant une histoire, en ayant le désir de faire un film et pas de raconter notre vie. En en faisant une fiction intéressante et palpitante pour le spectateur. Les prénoms participent de ça, ainsi que les costumes, la mise en scène. Tous les ingrédients sont réunis pour créer un ensemble cohérent : un film sur l’histoire d’amour et le combat mené par ces deux parents-là.
Jérémy Elkaïm : … Et donc un objet autonome qui puisse exister indépendamment de notre propre histoire.
Valérie Donzelli : La plupart des gens voient d’ailleurs le film sans savoir que ça nous est arrivé.
Jérémy Elkaïm : On ne voulait pas faire de l’autofiction mais un film, qui soit aussi un objet intime.
Valérie Donzelli : Oui, voilà, un objet intime.
A aucun moment vous ne tombez dans le pathos, alors que vous racontez une histoire plutôt triste, et de fait le spectateur passe par toutes les émotions possibles. Comment avez-vous réussi à jongler avec ça ?
Jérémy Elkaïm : On a réussi parce qu’on a maltraité le sujet. On se foutait de le respecter, on n’a pas sacralisé le contenu. On s’est autorisé à blaguer avec, à en faire ce qu’on voulait.
Pour conclure, qu’aimeriez-vous que les spectateurs retiennent de votre film ?
Valérie Donzelli : Que tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir.
Jérémy Elkaïm : Dans tous les domaines.
Valérie Donzelli : Et que la solidarité c’est important.
Jérémy Elkaïm : Toutes ces valeurs qui peuvent paraître un peu désuètes et niaises et qui nous semblent à nous très importantes : le lien, l’écoute, l’attention portée aux autres.
Propos recueillis par Raphaëlle Chargois
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- Film d’ouverture de la Semaine de la Critique
- 3 prix : Prix des blogueurs, Prix du public et Prix du Jury
- 2 nominations : Prix des étudiants et Prix du Jury – Mention spéciale
Festival du Film de Cabourg 2011
- Grand Prix
- 3 nominations : mention spéciale du Jury, Prix de la Jeunesse et Prix du Public
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