L’esthétique thriller gothique de Guillermo Del Toro
Crimson Peak, l’esthétique thriller gothique de Guillermo Del Toro De Guillermo Del Toro Avec Mia Wasikowska, Jessica Chastain et Tom Hiddleston Durée : 119 min Sortie le 14 octobre 2014 |
Sortie le 14 octobre 2015
Guillermo Del Toro réalise un superbe thriller gothique, héritier à la fois de la littérature britannique et du cinéma de la Hammer, qui pêche toutefois un peu par la grandiloquence des effets hollywoodiens employés. Reste un agréable divertissement d’Halloween. « Les fantômes existent » affirme une Mia Wasikowska ensanglantée en ouverture du baroque trhiller gothique de Guillermo Del Toro, Crimson Peak. La même Mia Wasikowska, incarnant ici Edith Cushing, une riche héritière à l’imagination fertile, aspirant écrivain dans l’Amérique en pleine révolution industrielle, déclarera pourtant tout de go quelques scènes plus tard que les fantômes peuplant ses écrits « ne sont que des métaphores ». C’est entre ces deux postulats a priori contradictoires que va alors se jouer la tension fantastique du film, dans un sens très Todorovien : les fantômes existent-ils ou sont-ils le fruit des délires d’une jeune fille impressionnable, isolée et prise de folie dans la campagne anglaise ? Courtisée par son ami d’enfance, le charmant docteur McMichael, Edith est très vite attirée par Sir Thomas Sharpe, un étrange lord anglais dépenaillé venu quêter un soutien financier pour développer des machines d’extraction d’argile permettant de renflouer l’exploitation familiale. – Enjeu davantage esthétique que narratif, cette histoire de machine à extraire de l’argile relève d’ailleurs beaucoup de ce qu’Hitchcock appelait un McGuffin : il s’agit d’un prétexte à déclencher l’histoire, qui revêt au final tellement peu d’importance qu’on l’oublie durant la plus grande partie du film. Il donne néanmoins l’opportunité de quelques plans magnifiques, où la neige semble saigner et justifie le nom du film, Crimson Peak ( littéralement Le Pic Pourpre). À la mort brutale de son père, l’ingénue Edith trouve donc le réconfort dans les bras de Sir Thomas Sharpe, qui l’épouse et l’emmène dans sa propriété, au fin fond d’une campagne anglaise désolée. La maison délabrée est tenue d’une main de fer par l’inquiétante sœur de Sir Thomas, Lady Lucille Sharpe. C’est alors que débute une série d’événements portant la marque du surnaturel : voix, apparitions, objets déplacés, souvenirs de morts violentes… La mort rôde, dans une histoire de maison hantée qui lorgne incontestablement vers les Nouvelles Histoires Extraordinaires d’Edgar Allan Poe. – On pensera en particulier à La Chute de la Maison Usher, notamment pour cette intrigue vénéneuse construite autour du lien fraternel, qui semble s’incarner dans la maison. La romance horrifique gothique se prete alors volontiers au déploiement d’une poésie visuelle caractéristique du cinéma de Guillermo Del Toro. La maison hantée, avec ses pluies de feuilles mortes, chutes de neiges à travers la toiture en ruine ou ses apparitions fantômatiques aux squelettes cendreux, se prête à merveille à la recherche stylistique du réalisateur du Labyrinthe de Pan. Bien malin, le cinéaste tient d’ailleurs en filigrane un intéressant discours sur les arts de l’image, qui permettent de fixer l’invisible. Ainsi, le principal soutien de l’héroïne n’est autre qu’un ophtalmologue, qui, coïncidence étrange, s’intéresse à ce nouveau procédé technique, la photographie, comme moyen de révéler la présence de spectres imprégnant les lieux de leurs décès. De la même façon, l’image est la principale force du cinéma de Guillermo Del Toro, qui n’en finit pas d’explorer toutes les possibilités visuelles au service de la fantaisie. Ici, une fantaisie marquée par deux influences majeures : le roman gothique, donc et le cinéma d’horreur baroque, visuellement foisonnant, de la Hammer. – Impossible d’ailleurs de ne pas voir dans le nom de l’héroïne, Cushing, une allusion à son homonyme, Peter Cushing, qui fit les beaux jours de la petite maison de production britannique en duo avec Christopher Lee. – Cette double référence constitue paradoxalement le principal défaut du film. D’une part parce que le charme et la poésie des films de la Hammer provenaient en grande partie des faibles moyens de production d’un cinéma B qui compensait par l’imagination les manques de budget. En réalisant un film hammerien avec les grands moyens des studios hollywoodiens, Guillermo Del Toro propose certes un superbe objet filmique, mais qui s’avère tellement lisse qu’il décrédibilise un peu ses créatures fantastiques. En outre, scénaristiquement, Crimson Peak tient davantage du thriller que de la véritable horreur, faisant reposer l’angoisse sur un suspense lié à une suspicion de meurtre et à une fratrie ambiguë, plutot que sur le surnaturel en lui-même. Cette bonne idée est un peu gâchée par un final inutilement gore, qui à force d’affrontements sanglants, vire au grotesque. Grotesque probablement lié au référentiel littéraire, puisque présent dans de nombreuses œuvres du genre gothique, étroitement enchevêtré avec les motifs récurrents de l’altérité ou du monstre. Dans le Frankenstein de Mary Shelley, par exemple ou le Dr Jekyll and Mr Hyde de Robert Louis Stevenson, pour ne citer que ceux-là. Dans Crimson Peak, pourtant, cette dimension grotesque, trop appuyée par la grandiloquence des effets hollywoodiens, fait perdre au film en subtilité et gâche un peu son dénouement. N’en reste pas moins un très bon divertissement d’Halloween, porté par d’excellents acteurs, Jessica Chastain, effrayante Lucille Sharpe, très loin de ses rôles intellectuels habituels et Tom Hiddleston, intriguant Lord aux noirs desseins, en tête d’un casting de haut vol. Raphaëlle Chargois [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=oquZifON8Eg[/embedyt] [Crédits Photos : ©2015, UNIVERSAL STUDIOS. Tous droits réservés.] |
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