Cosme Bongrain : “L’écoproduction c’est avant tout du bon sens !”
Dans le cadre d’une semaine thématique intitulée “Comment la culture change le monde” animée par La Poursuite du Bleu, les étudiants de 5e année de l’ICART ont accueilli plusieurs professionnels engagés dans le secteur culturel. Ils ont notamment reçu Cosme Bongrain, fondateur de la boîte de production Goodseed Productions.
Comment est venu le déclic de l’écoproduction ?
J’ai débuté dans le cinéma en tant que régisseur sur des tournages. Je suis ensuite devenu assistant puis directeur de production et j’ai fini par intégrer L’Atelier Ludwigsburg-Paris de la Fémis, un cursus spécialisé dans la coproduction internationale. En 2016, à ma sortie de la Fémis, je décide de monter ma propre société de production : Goodseed Productions, alimentée par des commandes de films institutionnels et publicitaires. En 2020, je remporte un marché public pour m’occuper des productions audiovisuelles de l’Office français de la biodiversité, et pour lequel j’ai fait plus de cent cinquante reportages et documentaires dans toute la France. Quand on travaille avec une institution comme celle-là, on se rend vite compte du besoin d’adapter nos façons de travailler pour ne pas perturber la vie animale, pour préserver cette nature dans laquelle on travaille. La biodiversité était un champ qui m’intéressait déjà beaucoup d’un point de vue éditorial, mais c’est à partir de ce moment que j’ai véritablement intégré les questions environnementales dès la phase de production.
Quelles actions concrètes mettez-vous en place avec Goodseed ?
Nos principaux engagements sont rassemblés dans une charte propre à Goodseed. Notre approche de l’écoproduction s’appuie sur une économie sobre qui cherche à faire mieux avec moins et c’est une réflexion qui se fait sur les tournages mais pas que ! Dans nos bureaux, on réfléchit à optimiser notre empreinte carbone en surveillant notre consommation d’électricité, en privilégiant les achats d’occasion pour notre parc de matériel et la dématérialisation. Sur les tournages, les modes de transports collectifs sont privilégiés et on tente de recruter des techniciens locaux pour justement réduire les transports au maximum. On essaie aussi de tourner dans des décors naturels le plus possible pour limiter l’usage d’éclairages artificiels en ayant recours, tant que possible, aux branchements forains plutôt qu’à des groupes électrogènes, beaucoup plus énergivores. On se tourne systématiquement vers du catering local et de saison, les déchets sont triés, etc…. L’idée est d’être cohérent d’un bout à l’autre du projet, même lorsque cela implique de consacrer plus de temps à la phase de production. Plus la réflexion est posée en amont, plus il est simple de la mettre en place, et l’écoproduction va au-delà de la réduction de l’empreinte carbone, c’est une démarche globale de développement durable.
Est-ce que lorsque vous confrontez la théorie à la pratique, vous faites face à
certaines contradictions ?
Très souvent. Il y a plein de choses que j’aimerais mieux faire, mais dans les faits ce n’est parfois pas possible ou contreproductif. Par exemple, une anecdote sur le tournage d’un court-métrage, nous avions scrupuleusement trié tous les déchets mais quand on s’est rendu compte que le centre de traitement était très éloigné et peu rigoureux sur le tri ; au vu de la consommation de gasoil et de la combustion des déchets que cela impliquait, il n’était plus si évident qu’organiser un convoi soit la meilleure solution. Dans un autre registre, j’avais pris la décision de mutualiser le matériel entre mes équipes et rapidement, je me suis rendu compte que c’était ingérable. D’un autre côté, ces contradictions nous permettent de réfléchir à de nouvelles idées. On s’interroge notamment sur la question du “recyclage” des images, il y a plein de possibilités, l’écoproduction c’est avant tout du bon sens !
Vous parlez d’images recyclées, est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?
C’est une réflexion qui m’est venue en travaillant avec l’Office français de la biodiversité, comme j’étais leur prestataire pour la production de toutes leurs vidéos pendant 3 ans, j’ai commencé à me questionner sur la nécessité de sans cesse créer de nouvelles images. J’en avais déjà tourné suffisamment et elles pouvaient tout simplement être réutilisées. Lorsqu’on me commande une nouvelle vidéo, je vais donc me demander s’il n’est pas possible de piocher dans des images préexistantes. C’est une question très intéressante, de la même façon qu’on parle beaucoup de seconde main dans le milieu du textile, pourquoi ne pas intégrer ce principe dans notre secteur ? D’un point de vue écologique, ça permet évidemment de réduire nos émissions, ainsi que les coûts financiers. D’un autre côté, c’est une idée qui est en contradiction directe avec mes intérêts en tant que producteur. C’est aussi un paradoxe au niveau artistique, difficile de faire accepter à un réalisateur qu’on va intégrer des images déjà tournées à son projet, bien que l’idée concerne surtout des plans d’illustration, elle n’a pas vocation à remplacer des acteurs par exemple. Je pense que c’est une question qui est amenée à évoluer dans le futur, notamment avec l’intelligence artificielle, on peut déjà transformer, retravailler des images très facilement. Pour cette raison, je parle de recycler et non pas de réutiliser des images, l’idée est de les adapter à nos besoins, et donc de réduire notre impact.
Dans vos productions, quelle place accordez-vous au récit ?
Pour moi, il ne faut pas voir le tournage comme une simple manière de “capter des images” mais plutôt se demander comment faire pour qu’une production soit la plus vertueuse possible au-delà du message. L’écoproduction, ce sont des actions, mais s’il n’y a pas une portée du film, une résonance sur un public qui va les interroger, l’intérêt pour le film s’amoindrit. Faire un film, c’est avant tout créer une représentation du monde. On mobilise le cerveau des gens pendant une heure et demie, c’est du temps de cerveau disponible où les gens sont vraiment concentrés, c’est l’occasion de faire passer des messages au public, que le film parle d’écologie ou non. On a une responsabilité derrière l’histoire que l’on raconte, en tout cas moi, c’est ce que je crois. Il faut penser à la fois à la portée de l’histoire et à la fois à son impact sur le spectateur.
Propos recueilli par Romane Cosson, Zoé Cuenca et Eva Hatchwell
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