Chloé Mazlo : “Je ne voulais pas être virulente au sujet de la guerre”
Après ses études en art graphique, la plasticienne franco-libanaise Chloé Mazlo, se spécialise dans la réalisation de films d’animation. Son dernier film Sous le ciel d’Alice, avec Wajdi Mouawad et Alba Rohrwacher a été sélectionné à la 59e édition de la semaine de la critique à Canne et présenté au sein du nombreux festivals français et internationaux. Un film marqué par sa grande pudeur poétique, il raconte l’histoire de son pays, le Liban, a travers des images esthétiquement marquantes.
Comment décris-tu ton travail ? De quoi tu t’inspires ?
J’ai étudié le graphisme à l’École Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg où j’ai commencé à faire de l’animation. C’était le début des appareils photo numériques et j’ai trouvé le médium qui correspondait le mieux à ce que je voulais faire, c’était quelque chose de l’ordre de l’expérience. J’aime essayer des nouvelles choses et ne pas être enfermé dans un seul médium, l’animation, c’est un médium au sein duquel il y a plusieurs techniques, c’est quelque chose de magique !
Jonas Mekas m’inspirait beaucoup, ainsi que ses vidéos du quotidien. J’ai commencé à faire de l’animation, je découvrais les cinéastes d’animation, par exemple Jan Švankmajer, un cinéaste tchèque, Pierre Etaix, Jean Cocteau, ces bricoleurs un peu fous étaient mes références, ils ont expérimenté les mouvements dans le cinéma.
Comment s’est passé le basculement de graphic design au cinema ?
J’ai envoyé mon film de fin d’études à un festival, j’ai rencontré un producteur de courts métrages, qui m’a dit avoir aimé mon film et si j’avais d’autres projets. J’ai donc fait un deuxième court-métrage avec lui et j’ai enchaîné avec plusieurs, je me suis rendu compte que le cinéma est un moyen d’expression libre et très riche, il y a tellement a inventer entre le mouvement, le son, la musique et d’autre éléments, ça réuni beaucoup de disciplines que j’aime bien.
L’écriture du film Sous le ciel d’Alice, c’est fait à partir d’archives familiales en plus d’archive historique du Liban ?
J’ai toujours travaillé les deux, j’avais les lettres et les photos familiales et en parallèle, je travaillais avec l’historique de la guerre libanaise. J’ai échangé des messages avec une personne au Liban qui a fait un résumé de la guerre de jour en jour, et il m’a envoyé des documents précieux, on voit comment les informations ont été traitées dans les années 70.
Le film rend compte du point de vue des civils Libanais au moment où la guerre se passait, il n’y avait pas le recul qu’on a maintenant. J’avais aussi beaucoup de photos, de lettres que ma grand-mère avait envoyé à ma mère, et les récits d’Alice elle-même et le reste de la famille.
Le film parle de l’histoire de votre grand-mère, comment est-ce qu’on introduit une histoire personnelle dans le contexte historique d’un pays ?
Je ne voulais pas faire un film qui affirme des vérités sur le conflit libanais, en plus c’est un conflit qui n’est pas enseigné a l’école au Liban, donc comment pourrais-je moi-même arriver à l’exprimer ! J’avais plus envie de montrer l’image de ma grand-mère qui arrive au Liban et découvre le pays, pareillement que le spectateur et moi-même qui découvrent le Liban.
Quand Alice fait une prière pour le Liban, elle cite 21 religions, est-ce que c’est une critique ?
Je n’ai justement pas voulu le montrer comme une critique, parce qu’a aucun moment dans le film j’ai expliqué que c’était un problème de communauté, un problème lié à la politique, la religion. C’était pour montrer la richesse du pays, de ce mélange. Je ne voulais pas expliquer la guerre à travers les communautés, ça n’existe pas le “trop de communauté”, c’est une richesse ! Au début, la plupart des chefs religieux étaient contre la guerre.
À travers les plans frontales du film, le jeux des acteurs, les entrées et sorties du champ, on a marqué la présence de l’aspect théâtral. D‘où vient cette théâtralité ? Est-ce que c’est un sort de fusion de différent art ?
Je pense que ça vient du graphisme. J’avais également introduit la théâtralité et la frontalité dans l’image de mes courts-métrages précédents. En pensant les images, j’ai toujours une vision fixe, puis ça commence à bouger intérieurement. J’avais aussi en tête Roy Anderson, le réalisateur suédois, une de mes références qui faisait beaucoup de plans fixes. La fusion des arts, c’est un outil, et à travers ces outils on raconte des histoires.
À travers cette théâtralité, on remarque la présence de l’armée, masquée avec des masques des renards, ainsi que des hommes politiques miliciens.
Est-ce une forme de critique, sachant que le renard est un symbole connu de la fraude, ou c’est une manière de raconter la réalité ?
C’était une façon de raconter la réalité, à l’époque les gens ne voulaient pas être reconnus dans les conflits et les manifestations. Et je ne voulais pas donner un visage au responsable de la guerre. Les personnages masqués, ont été joué par les acteurs principaux du film, a l’aide de costumes pour ne pas identifier les personnages sous le masque.
Est-ce que tu as un message spécifique à faire passer ?
Je n’ai pas de leçon à donner, ni de vérité à affirmer, mon message c’est qu’à partir du moment où on ne sait plus comment communiquer, ça commence à devenir compliquer. Cette impossibilité de communication, c’est ce qui fait l’enchainement des problèmes.
Je voulais montrer à travers mon film, une image du Liban où les gens son debout et fiers, non pas de la violence.
On remarque dans ton travail une fusion entre plusieurs formes d’arts, comment décides-tu que ça va être esthétiquement plaisant ?
C’est un risque, avec la multiplicité des courts-métrages que j’ai fait, le problème n’était pas esthétique, c’était plutôt la compréhension des spectateurs aux jeux de mots visuels que je voulais faire. Avec les essais et l’habitude, on sait comment rendre une image esthétique a l’écran. Je réfléchis souvent par métaphore, c’est aussi lié à l’éducation que j’ai eue. Le design permettait de mettre en œuvre des images qui sont plus efficaces que les mots. Ça m’a permis de résumer des scènes et de montrer par l’image ce que les personnages vivent.
Le film a été tourné entièrement en studio en France, quelles été les difficultés de créer un environnement étranger au sein d’un studio ?
Toutes les scènes intérieures on été tourné à Bry-sur-Marne et les extérieurs à Chypre.
Les deux choix ont des conséquences, le fait de tourner un film en France alors qu’il se passe ailleurs, ainsi que de tourner un film au Liban pendant la crise sanitaire et politique, le faite d’être en France permettait de mieux maitriser l’aspect technique.
On a tourné avec des acteurs libanais qui étaient en France, c’est un point que j’ai trouvé intéressant par ce qu’ils y avaient la question de l’exil entre les acteurs, ils vivaient ce questionnement au moment du tournage.
Le film est-il destiné à quelqu’un spécifiquement, une personne ou un groupe ?
En écrivant un film, on se dit qu’il faut qu’il plaise à tout le monde, mais au final j’avais envie qu’il résonne pour ma famille, pour leur expliquer que j’avais compris ce qu’ils avaient vécus et ce qu’ils vivent toujours. Comme je suis une enfant de libanais, j’avais envie que ça fasse écho chez les enfant Libanais aussi. Le fait de tourner un film sur la guerre libanaise m’a également permis de comprendre pourquoi et ce qu’a laissé la génération précédente.
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Propos recueillis par Abada Garakala
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