Chloé Cambournac : “L’écoconception ne contraint pas mais rend créatif·ve”
Dans le cadre d’une semaine thématique intitulée “Comment la culture change le monde” animée par Lucy Decronumbourg, chargée de production de la compagnie La Poursuite du Bleu, les étudiant·es de 5e année de l’ICART ont accueilli plusieurs professionnel·les engagé·es dans le secteur culturel. Chloé Cambournac, cheffe décoratrice au cinéma, est venue présenter ses activités et son implication au sein de la Ressourcerie du cinéma.
Comment est née votre volonté de développer l’écoconception dans le cinéma ?
Mon parcours a connu différents éveils qui m’ont permis de réimaginer mon métier. Formée aux Arts Déco de Paris, je me suis dirigée vers la scénographie. D’abord destinée aux décors de théâtre, on me propose mon premier film, Le Pacte des Loups, sous la direction de Guy-Claude François. Après plusieurs longs-métrages, je travaille sur Deux moi de Cédric Klapisch. Au moment du démontage des décors, je réalise que le parquet, collé, ne pourra pas être récupéré à la fin. L’équivalent d’une benne de bois neuf est finalement jeté. Il me faut alors repenser les processus de création des décors et instaurer un dialogue entre les différents corps d’artisanat. Avec une dizaine de personnes, nous montons donc le collectif Eco-Déco Ciné (lien vers notre page Facebook). La Ressourcerie du Cinéma créée par Jean Roch Bonnin, Karine de Polignac et Isabelle Hebert est née officiellement en 2021, en réponse à au besoin d’écoconcevoir les décors.
Comment La Ressourcerie fonctionne t-elle ?
C’est un modèle associatif qui repose sur le principe d’adhésion. L’équipe est complémentaire : certain·es viennent du milieu du recyclage, d’autres du cinéma et de la régie.
Elle comporte 200 tonnes de décors récupérés et réemployés. Les décors sont vendus à 50% du prix d’achat et le tarif est dégressif en fonction des bourses. La Ressourcerie ne fait pas de bénéfice, l’argent gagné est réinvesti dans l’entretien du lieu, les charges et le loyer. L’idée est de réfléchir au réemploi des décors dès la conceptualisation. La méthode de travail évolue. Cela demande moins de temps de construction car nous travaillons des éléments qui existent déjà. Mais le temps de démontage est plus long, car il faut tout désassembler avec soin pour à nouveau réutiliser ces matériaux.
N’y a-t-il pas un risque d’uniformisation artistique en mutualisant les ressources matérielles ?
Sauf s’il y a un élément très spécifique, on ne reconnaîtra pas un décor retravaillé, dans un autre contexte, avec une lumière et des comédien·nes d’univers différents. La manière dont on agence les éléments recrée quelque chose de nouveau.
Je trouve que l’écoconception ne contraint pas mais rend créatif·ve. Lorsqu’on crée des décors, on fait du faux donc on peut expérimenter. J’aime me balader à la Ressourcerie du cinéma comme dans un musée. En cherchant un matériau, je peux tomber sur un autre ou sur quelqu’un, qui vous emmènera encore plus loin. Alors que sur internet, on ne trouvera rien d’autre que ce que nous cherchons. Je pense que la contrainte fait évoluer mon métier. Sabine Barthélémy, par exemple, cheffe peintre créative, allie contraintes de production et désir de travailler “zéro déchet” : elle détourne des matériaux de leur usage premier, et produit ses propres peintures.
Avez-vous le sentiment que des actions similaires aux vôtres sont mises en place ?
On n’avance plus seul·e aujourd’hui. Ecoprod, fédérée en association en 2021, fait un travail formidable en créant des fiches pour conseiller différents corps de métiers afin de pallier l’utilisation de matériaux polluants. Aujourd’hui, plus de 200 membres soumettent leurs avancées que Ecoprod analyse pour autoriser leur labellisation. C’est un modèle vertueux car sur chaque film, les productions gagnent en expérience. La région Ile de France est également motrice avec le projet Circul’Art mené par Paris Film Région. Ce partenaire nous accompagne tout en nous offrant des moyens d’étude, des lieux d’échanges, et une visibilité accrue.
Il y a beaucoup de synergie entre les pouvoirs publics et les productions pour travailler de manière plus responsable. Le CNC a notamment annoncé la mise en place d’une “éco-conditionnalité” de ses aides à partir de mars 2023. Les productions doivent produire un bilan carbone prévisionnel puis un bilan carbone final de leur tournage. Cela va donner lieu à des labellisations ou à des taxes si un film n’est pas assez décarboné.
Que faudrait-il faire maintenant pour approfondir ces démarches ?
Des outils existent. Par exemple, Ecoprod et Secoya sont complémentaires concernant la formation des professionnel·les du cinéma et je pense que tout le monde doit mettre ses forces au même endroit.
D’autre part on manque actuellement de données, donc nous voulons mener des tests matériaux à plus grande échelle, mettre en œuvre un calculateur d’empreinte carbone spécifique aux décors (le Carbon’Clap d’Ecoprod par exemple) et créer des fiches méthodologiques de nos pratiques afin de partager nos avancées en ligne aux intéressé·es du milieu.
J’espère qu’un temps de discussion sera aménagé avant chaque projet pour anticiper au mieux l’utilisation des décors. Je crois au fait qu’en mettant chacun·e une pierre à l’édifice, on bâtisse ensemble notre cinéma de demain.
Propos recueillis par Clémentine Armand, Pauline Bonnemaison, Anouk Lachaise et Élise Traboulsy
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