Carte des sons de Tokyo – Sergi Lopez
Le film commence très fort, avec les corps étendus de geishas, sur lesquels des hommes d’affaires occidentaux, grassement vulgaires, mangent. Voilà pour le cliché tokyoïte, vite évacué, au profit d’une cartographie bien plus complexe. Car Isabelle Coixet, réalisatrice remarquée dans l’oeuvre collective « Paris je t’aime » s’est lancée un défi bien étrange, sur lequel d’autres se sont cassés les dents : nous faire entendre Tokyo. Tout au long du film, les sens sont donc sollicités. On retrouve bien sûr un peu de Lost in translation dans cette réalisation, mais d’une manière bien plus dure et directe : là où Sofia Coppola s’égarait agréablement dans une rêverie insolite, la réalisatrice espagnole filme au plus près des corps de ces deux héros, Ryu et David. Ryu ( Rinko Kikuchi) est une jeune fille mystérieuse et glaciale qui tombe amoureuse de David (Sergi Lopez), un Espagnol installé à Tokyo, et qu’un riche homme d’affaires rend responsable du suicide de sa fille.
C’est bien là que le bât blesse : car si Isabelle Coixet rend un hommage appuyé à la beauté de la ville, à son étrangeté, en en filmant les moindres détails, comme anodinement, les relations entre les personnages souffrent par ailleurs d’un goût inachevé et téléphoné. On aurait beaucoup aimé croire à cette relation tronquée, pimentée par la présence obsédante du personnage de Min Tanaka, le narrateur. Celui-ci travaille dans le son et est obsédé par le silence de Ryu, dont il aime chaque brèche.
Un silence très bruyant
C’est là finalement la thématique principale : qui parle ? Qui se tait ? Dans cette histoire tragique où l’amour se solde immanquablement par la mort, Tokyo semble être le lieu des rendez-vous manqués, car ses bruits omniprésents occultent les relations, comme l’arbre cache la forêt. Message énigmatique de la suicidée, apathie du père, dissimulation de Ryu, silence de Ishida, l’amoureux transi… les mots ne disent jamais ce qu’ils veulent bien dire. Pris dans des filets inextricables, les personnages dévident leurs bobines fatales, jusqu’au coup de ciseau (bruyant) de la Parque. Dans cette mécanique bien huilée, il aurait fallu que la réalisatrice introduise un grain de sable entêtant, comme un ostinato, qui aiderait l’adhésion à la petite musique du film. Reste Tokyo, étincelante, vivante, étouffante, et dont les mystères, comme un cœur, continuent à palpiter sourdement.
Mathilde de Beaune
A lire sur Artistik Rezo :
– la sortie du film en dvd
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Carte des sons de Tokyo
Un film de Isabelle Coixet
Avec Sergi Lopez, Rinko Kikuchi, Min tanaka, Takeo Nakahara….
Sortie le 26 janvier 2011
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