Cannes 2017, jour 4 : vivre avec passion
70ème festival de Cannes du 17 au 28 mai 2017 |
compte-rendu du samedi 20 mai Fatigue, bons moments et instants d’inquiétude : une journée intense pour notre envoyée spéciale au festival de Cannes. Quatre heures de sommeil. La douche chronométrée dure 7 minutes de plus que les jours précédents. Incompréhensible. Dehors, les journalistes badgés, en pleine zombie walk, croisent les cannoises descendues en jogging peau de pêche pour acheter des croissants. Je veux le voir, ce film, vous n’imaginez pas à quel point. Aux portique de sécurité, je me dis que c’est dingue le nombre de gens qui gardent au fond de leur sac une paire de ciseaux pliants, un coupe-ongles, un minuscule couteau suisse. Dans mon sac chaque jour, il y a le minimum vital moins une chose (jamais la même sinon c’est pas drôle). 120 battements par minute, en compétition officielle, est une plongée dans le combat anti-sida du groupe activiste Act Up dans les années 90. Le réalisateur français Robin Campillo, après Les Revenants (dont est tirée la série télévisée) et le très intéressant Eastern Boys, livre une ode poignante à la vie dans la survie. C’est l’émotion qui prime souvent sur le cinéma, mais une émotion brute, primale, écrasante. On en sort avec la rage au corps, le désir d’aimer. Robin Campillo livre une oeuvre magistrale, nécessaire, puissante et malheureusement tellement actuelle. Car si il y a quelque chose à tirer de 120 battements par minute, c’est qu’il n’est pas un film historique, témoignage d’un instant passé mais bien que nous vivons bien dans la continuité de cette lutte, qui est loin d’être derrière nous, donc. Seul film chinois en sélection officielle, Passage vers le futur est un long (très long) drame sur la misère sociale dans les grandes villes et l’exode urbain qui en découle. La ville et la vie hors des champs n’ont pas rempli leurs promesses et, dans la pollution et le stress, les citoyens sacrifient leur santé et donc leur vie pour un rêve inaccessible. Échec et erreur qui se reproduisent de génération en génération. Parmi les thèmes forts de cette édition : l’absurdité du monde, par sa violence, son coût humain et financier absurdes, la corruption des institutions et la perte de la confiance. Ils sont le signe d’une société au bord de l’implosion et d’une réelle angoisse des artistes sur la question. Ici à Cannes, la majorité appelle à la révolution, à prendre les armes, à se battre pour ses convictions et ses droits. Parce que j’aime tant l’exercice, j’enregistre à nouveau un podcast avec mes amis de NoCiné. Malgré le ragondin mort que j’ai dans le pharynx (merci la clim), je profite de la chance de débattre avec des passionnés, à chaud, nous enrichissant de nos désaccords et de la différence de nos culture et de nos goûts. C’est une particularité du festival de Cannes : le cinéma est dans les salles mais il est aussi dans la rue, aux terrasses des café, aux tables des restaurants, de 7h30 à 5h du matin. Ici, on parle, on débriefe, on s’écharpe, on note (en emoji, en étoiles ou en notes sur 5, sur 10 ou sur20, chacun son école). Dans toutes les langues, toujours avec la même passion. Nous décidons avec mes camarades de prévoir un bon temps d’attente pour la projection du Redoutable de Michel Hazanavicius. Même si le précédent film du réalisateur (The search) avait été copieusement hué à Cannes, il ne faut pas oublier que la statuette des Oscar trônent sur le manteau de sa cheminée et nous ne voulons pas nous voir refuser l’entrée de la salle sous prétexte que le monsieur a une côte internationale. Attente de plus d’une heure donc, en plein cagnard. En bonne compagnie, le temps passe plus vite et nous ne remarquons pas que l’heure de la projection se rapproche sans que qui que ce soit ai monté les marches. Soudain, la file des bleus commencent à s’éparpiller. On se rapproche pour comprendre : le succès serait tel qu’aucun badgé de notre couleur ne serait monté ? Ça semble absurde. Alors que nous nous rapprochons, un agent de sécurité nous beugle de nous éloigner, il nous pousse quelques mètres plus loin. C’est le cas tout autour des marches, un cordon de sécurité a bien été installé. On voit la police, Thierry Frémaux au milieu des marche pendu à son téléphone portable. Presque silence dans les rangs de la presse, on attend une annonce. Avec un sens du timing inimitable, les sirènes retentissent dans la rue. C’est l’effervescence d’un côté, l’attente de l’autre. Pas de communication. On comprend que c’est une alerte à la bombe, on dit que c’est un colis suspect, cette partie du palais a été évacuée, il faut attendre. On ne nous dit pas si la séance aura bien lieu et on attend tous, on ne sait quoi. Enfin, on nous fait signe de revenir. La séance est maintenue avec 45 minutes de retard. Mouvement de foule. Et enfin, on monte les marches. Portique de sécurité, fouille du sac, présentation du badge. Ces précautions qui prennent du temps, n’empêchent pas le risque. On le réalise un peu plus avec cette fausse alerte. Dans la salle enfin, Le Redoutable est un film sur l’inénarrable Jean-Luc Godard, basé sur un livre écrit par la protagoniste de cette histoire, Anne Wiazemsky, muse puis épouse du réalisateur. Le film de Michel Hazanavicius est drôle, il est pétillant, il est irrévérencieux. Il est cependant imparfait parce qu’il n’a pas le panache de son sujet, pas les épaules pour supporter l’Histoire. On reste dans l’anecdote, mais plaisante et on apprécie quand même au passage le talent des deux acteurs principaux : Louis Garrel (il faut du temps pour s’habituer mais il porte très bien le zozotement, la calvitie et les lunettes fumées) et Stacy Martin. Avant de rentrer se coucher pour profiter d’un sommeil réparateur, on boit une bouteille de vin en bonne compagnie, avec celle qui rentre déjà sur Paris. Et c’est amusant mais à ce stade du festival, l’alcool, l’excès de café et l’excitation de la journée n’influent pas sur la qualité du sommeil. Sitôt couchée, je ronfle comme un bébé.
Lucile Bellan A découvrir sur Artistik Rezo : [Image 2017 © Memento Films Distribution] |
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