Cannes en direct – Jamel Debbouze – Rachid Bouchareb
“Mon film n’est pas un champ de bataille“. Sourire “peiné” de Rachid Bouchareb, face à la presse. “Une telle violence, sans même l’avoir vu, je trouve cela exagéré. Même si je savais, bien sûr, que les relations France/Algérie restaient très tendues sur la question du passé colonial…”. Il est 11h30 du matin, ce drôle de vendredi à Cannes, lorsque le réalisateur de Hors la loi – concourant pour la Palme d’or – prend la parole. Les journalistes, nombreux, originaires de tout pays, plutôt séduits par son long métrage retraçant l’histoire de l’Algérie de 1945 à 1962, en tout cas par sa légitimité et son absence de manichéisme (la forme restant comme toujours chez lui assez appliquée), sont tout ouïe. La journée, de fait, risque d’être compliquée. Epique, si l’on tient absolument à rester dans la veine cinéphile. Mais l’est-on encore ?
A 8h30, ces mêmes journalistes ont été fouillés, à plusieurs reprises et comme jamais au Festival, pour pouvoir assister à la projection du-dit film. En bas des marches du palais, dès potron-minet, le déploiement des forces de l’ordre paraissait inhabituel de toute façon… Très vite, dans la salle, s’est propagée l’info : élus régionaux et anciens combattants (rapatriés d’Afrique du Nord et anciens harkis) doivent déposer une gerbe de fleurs au monument aux morts, ce jour, derrière la mairie. A leur tête : Lionnel Luca, député (UMP) des Alpes Maritimes, celui-là même qui a lancé la polémique, à l’aube du Festival, dénonçant, sans l’avoir vu en effet, “Hors la loi” comme un film “anti-français”. Accélération des pouls et des humeurs… La Côte d’Azur, dont les votes de droite extrême frisent les records nationaux, n’est pas exactement une terre quiète, en matière d'”identité nationale” comme de “passé colonial”…
Décélération et respiration : ils ne seront que 1500, finalement, à s’adjoindre vers 10h30 au député courroucé, accompagnés, pour le coup, par le maire de Cannes, Bernard Brochant, également par l’ancien maire de Nice, Jacques Peyrat (tous deux UMP), et par une délégation du Front national. Nul débordement, cela étant, juste une “Marseillaise” entonnée avec cœur. Histoire de… Et, à nouveau, un déploiement discret mais vigilant, de forces de sécurité. Rendez-vous est donné, désormais, à 19h, pour la montée des marches officielle de cet opus décidément remuant. Sur et hors grand écran. Beaucoup de bruit pour rien ? Peut-être. Sûrement. Le Festival de Cannes a toujours été une caisse de résonance formidable pour tous les échos du monde. Dommage que d’aucuns l’utilisent pour faire entendre, essentiellement, les dernières salves d’un monde défunt, sinon tout à fait éteint.
“Abcès”
Retour à la conférence de presse de la mi-journée. Puisque c’est là que le bruit s’est converti en paroles. Censées. Rachid Bouchareb est doux et déterminé à la fois. Nulle harangue, nulle invective. D’abord, tout simplement, il remercie Thierry Frémaux, délégué artistique du Festival, qui “bien qu’ayant subi des pressions”, a maintenu son film en compétition. Clair, comme l’est, d’ailleurs, son regard (sévère) sur les exactions… du FLN à Paris, à la fin des années 50 : “La violence politique n’est pas seulement liée à la révolution algérienne mais à toutes les révolutions, puisqu’il s’agit chaque fois d’aller jusqu’au bout. Je n’invente rien, voyez le film de Ken Loach, ‘Le vent se lève’, qui se passe en Irlande“, souligne-t-il encore, justement et généralement. Avant de revenir sur la polémique franco-cannoise : “Il y a un abcès, il est percé… A présent, ouvrons le débat, que tout le monde puisse s’exprimer. Il faut que cela s’apaise, pour que l’on puisse passer à autre chose, enfin”. Tel sera son leitmotiv, jusqu’à cette phrase définitive : “Et puis je n’ai pas à prendre en charge toute l’Histoire. Quand Coppola a fait ‘Apocalypse now’, il n’a pas raconté tous les détails de la guerre du Vietnam. Et bien moi c’est pareil, avant tout, je fais du cinéma ! C’est cela qui me motive…”. Du cinéma coproduit par la France, l’Algérie (à raison de 25% du budget, d’où sa bannière algérienne, alors que Bouchareb, né en France, est français) et la Tunisie.
Jamel, irrésistiblement
“On le voit bien, d’ailleurs, au vu des financements, que seule une minorité en France est réticente à ce film“, arguait alors, à ses côtés, le grand producteur tunisien Tarak Ben Ammar. “D’ailleurs, Cannes, qui l’accueille, est en France même si c’est le plus grand festival du monde ! Et puis, c’est le public qui va nous juger”. Le public français, notamment. Qui avait fortement répondu présent à l’appel d'”Indigènes”, l’opus précédent de Rachid Bouchareb. Nul doute qu’à nouveau, le charisme des trois comédiens principaux, Jamel Debbouze, Roschdy Zem et Sami Bouajila, saura se jouer des frontières – mentales – et séduire le plus grand nombre (tous trois avaient d’ailleurs remporté un prix d’interprétation masculine collectif, pour leur prestation dans “Indigènes”, en 2006 à Cannes).
Singulièrement Jamel Debbouze, drôle et pertinent lors de cette rencontre avec la presse. Ludion idéal d’intelligence pour désamorcer les mauvaises bombes… et réconcilier les générations. “Mon personnage, dans Hors la loi, ne rentre pas complètement dans la révolution. Je pense que c’est ce que j’aurais fait, parce que… ça pique, la révolution !”. Un sourire, deux blagounettes, et le comédien-coproducteur de conclure, ouvert à défaut d’être tout à fait serein : “tous les films que j’ai fait avec Rachid Bouchareb ont fait polémique. Mais force est de constater qu’ils sont tous de leur temps. Et, en effet, quand je pense à mon fils, je me dis que j’ai besoin que l’on soit tous d’accord sur cette partie de l’histoire, pour mieux aborder l’avenir“. Entre batailles et débat, de fait, Jamel a choisi son champ. Donc son camp : celui de l’apaisement.
Ariane Allard
De Rachid Bouchareb, avec Jamel Debbouze, Roschdy Zem et Sami Bouajila.
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Sortie le 22 septembre 2010
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