Cannes 2017, jour 3 : fuir le droit chemin
70ème festival de Cannes du 17 au 28 mai 2017 |
compte-rendu du vendredi 19 mai Parce qu’il est bon de prendre les chemins de traverse, notre envoyée spéciale sèche le premier film Netflix pour aller faire d’autres découvertes… Le troisième jour, je sèche la polémique Netflix et le film en compétition Okja (dont le problème technique en début de projection aura fait huer les journalistes et crier au complot chez Netflix ; le festival, lui, a publié un communiqué avec de plates excuses) pour me rendre pour la première fois de l’année sur la plage Nespresso. Vous finissez par le savoir, c’est un de mes lieux favoris du festival. Loin des ambiances clubbing et bikini, la plage Nespresso, en partenariat avec la Semaine de la Critique, est un lieu calme et chic, parfait pour travailler face à la mer et déguster des iced macchiatos à la fois proche et loin de l’effervescence épuisante de la Croisette. Je m’y rends ce matin là pour la remise des Nespresso Talents. C’est la seconde édition de ce concours international de courts-métrages en format vertical, et je promets un succès grandissant à cette compétition ainsi qu’à ce format totalement actuel. La remise des prix a lieu pour le petit déjeuner, parfait pour débuter la journée en douceur. Et elle commencera bien puisque sur les quatre prix remis, trois le sont à des réalisatrices. C’est mérité et je suis aux anges. Après une coupe de champagne (dès 10h30, Cannes est bien sur un autre fuseau horaire) et un rendez-vous autour d’un café pour parler affaires et potins cannois, je me glisse dans la file d’attente pour They. Ce film présenté hors compétition qui raconte l’histoire de J., qui prend des hormones pour stopper sa puberté le temps de décider si iel veut devenir une femme ou un homme. Ce film est haut dans ma liste d’attentes de cette édition mais le reste de la presse ne semble pas partager mon enthousiasme, la salle est loin d’être pleine et elle n’est pourtant pas grande. Cela ne m’empêchera pas de profiter de ce drame intimiste, mystérieux et délicat (trop ?). La réalisatrice Anahita Ghazvinizadeh, gagnante en 2013 du prix de la Cinéfondation, étire les questions identitaires derrière des silences qui en disent long et le bourdonnement parfois assourdissant parfois rassurant des adultes autour. J. observe et se construit, à la fois au centre et en marge. C’est délicat et doux, simple finalement et pudique. Le film suivant, Lerd (un homme intègre) présenté en sélection Un certain regard, est un drame iranien dénonçant une société absurde où le système n’existe que pour être contourné. Pots de vins, manigances et logique de la violence, excèdent le juste Reza jusqu’au point de non retour. le film est austère, un peu daté, mais ses considérations font mouche. The square, le nouveau film du suédois Ruben Östlund, est présenté en compétition officielle. Ce cinéaste « poil à gratter » se voit comme un défenseur du politiquement incorrect et un vrai interrogateur des petites médiocrités de la psyché humaine. Sa farce cruelle mixe lutte des classes et art contemporain au cœur d’un récit éclaté. La forme est plus maîtrisée que dans son précédent Snow Therapy, mais, pour moi, le fond reste détestable. Loin de nous faire grandir, Östlund nous juge, portant un regard malveillant sur ses personnages, ses spectateurs et l’humanité toute entière. Et la pilule ne passe pas plus facilement avec le rire (gras). Je vous en parle davantage dans le podcast ci-dessous, enregistré avec les copains David et Hugo de la newsletter Calmos.
Pour clore cette journée de festival, je décide de découvrir La Belle et la meute, deuxième film de la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania (après le très riche documenteur Challat de Tunis). Le film suit la nuit de Myriam, jeune femme qui violée par des policiers après une soirée étudiante et se voit opposer la résistance de la justice et des institutions (policiers pour la plainte, médecins à l’hôpital). Si le visuel n’a pas semblé être la priorité de la réalisatrice, la forme (10 plans séquences chapitrés) et le fond au rythme haletant et qui prend aux tripes créent une tension réelle. Au point que je me retrouve à éclater en sanglots 200 mètres à après ma sortie de la salle, devant le Majestic à minuit. L’absurdité de la situation, la combativité et la violence et la cruauté de l’après encore plus que du drame, confine à la folie pure. Les mots « basé sur une histoire vraie » juste avant le générique ont été la goutte d’eau. Les larmes ont coulé fort, confirmant que la réalisatrice tunisienne propose un cinéma profondément politique et nécessaire. Cannes c’est aussi des heures devant son ordinateur à écrire des critiques, des mails et des compte-rendus. On attend le coloc qui est censé rentrer vers 1h30 et c’est finalement vers 3h qu’on éteint la lumière. Épuisée par les émotions, l’intensité du cinéma qui porte, la vie qui grouille au dehors, les centaines de corps qu’on frôle chaque jour. On coche sa journée sur le carnet. Demain, encore c’est le cinéma qui est au programme.
Lucile Bellan A découvrir sur Artistik Rezo : [Image 2017 © Festival de Cannes] |
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