Camelia Benamrane-Benlembarek : “Si quelqu’un se trouve changé en regardant mes films, j’aurais tout gagné”
Aujourd’hui, la nouvelle génération de réalisatrices est en marche. Celle dont nous allons parler est passionnée et voit le cinéma comme une religion. Sensible, consciente, ambitieuse… rencontre.
Pourrais-tu te présenter ?
Je m’appelle Camelia, j’ai commencé mes études en cinéma juste après le bac, puis j’ai basculé sur une licence de psychologie. J’ai passé ma dernière année à Los Angeles, où j’ai pu prendre des cours de cinéma. J’ai réalisé là-bas mon premier film, The Quiet, qui a été une expérience incroyable, c’était la première fois que je réalisais. J’ai repris mes études de cinéma en France. J’ai décidé de faire un film, Algérie 2019, étant moi-même franco-algérienne. Je suis allée tourner en Algérie pour questionner l’identité contemporaine de ce pays, au moment où les dernières élections présidentielles ont eu lieu. Le résultat a été à la fois de montrer l’effervescence des manifestations, de comprendre la demande du peuple, et en même temps de voir ce qu’était l’Algérie au quotidien, à notre époque. On a misé sur un film brut. On a fait en sorte de lisser le son et l’image le moins possible, que le film soit vraiment dans le vif des manifestations. Le tournage a été flexible et on a beaucoup improvisé. On l’a monté avec des coupes brutales, pour qu’il soit percutant.
Où en es-tu aujourd’hui ?
Actuellement, j’écris une fiction, un long-métrage. En septembre, je reprends mon Master de réalisation. J’ai envie de revenir en Algérie, pour refaire un film et parler de ce qui s’est passé depuis les manifestations. J’ai envie de travailler cette fois-ci la notion de combat, au niveau du peuple mais aussi les combats individuels de chaque personnage que j’ai filmé. J’ai également envie de parler de la différence de combats individuels qu’il peut y avoir qu’on soit une femme ou un homme. C’est quelque chose que j’ai remarqué dans mon premier documentaire. En Algérie, pour la plupart des jeunes que j’ai interrogés, les femmes voulaient partir et les hommes voulaient rester. Ça montre un problème au niveau de la société algérienne. J’aimerais aussi parler de religion. On entend beaucoup parler du Jihad dans l’Islam, mais ce n’est pas du tout un combat armé, c’est un combat intérieur, contre soi-même. J’ai envie de dire qu’il faut arrêter de combattre l’autre, c’est nos propres combats internes qu’il faut régler.
Quel est ton rapport au cinéma ?
Je ne me suis pas levée un jour en me disant que j’allais faire du cinéma. Je pense que c’est une sensibilité. J’ai toujours ressenti le besoin d’aller vers le cinéma, pour mieux me comprendre et comprendre ce qui se passe ailleurs. J’aime voir des choses que je ne vois pas dans la vie de tous les jours ou que je vois mal. Il y a des films qui m’ont transformée. Certains m’ont rendu plus consciente. Ensuite, ce qui m’a poussé à la réalisation c’est le manque de représentation. Le fait de ne pas me reconnaître dans certaines histoires. Quand au cinéma j’entends parler d’Islam, d’immigration, de la dépression, ce sont des sujets qui ont été largement traités mais pas comme j’aimerais. Tout le monde a quelque chose à raconter, mais je me disais que c’était important de donner mon point de vue, car peut-être qu’un autre ne le fera pas, alors je vais le faire, pour que cela soit authentique par rapport à mon expérience. J’aime aussi parler des sentiments. Le cinéma c’est une expérience de partage. Ce sont des créateurs qui vont donner une expérience à un public qui va se connecter pour vivre cette histoire. Je trouve ça magnifique, l’altruisme pur à mon sens. J’ai envie de m’engager, de participer à rendre le monde meilleur. J’aurais pu le faire de façon différente mais c’est le cinéma qui m’a semblé le plus naturel. C’est ma manière à moi de rendre le monde un peu plus compréhensible. Si quelqu’un se trouve changé en regardant mes films, j’aurais tout gagné.
Quelles sont tes sources d’inspiration ?
Il y a déjà l’individu, j’aime parler de l’expérience d’une personne, comment elle l’a vit. C’est très sartrien. J’aime beaucoup Sartre, il avait les mots que je n’avais pas. Il est dans l’idée de la liberté, “on est condamné à la liberté, on existe et on devient”. Il y a toute cette idée de se construire. Donc en termes de personnage, j’écris toujours de façon à ce que mes personnages deviennent quelque chose qu’ils n’étaient pas, il y a toujours une évolution. Il m’arrive de regarder des films et de m’arrêter pour écrire. J’aime les films à l’esthétique très documentaire, c’est une manière de montrer la réalité sans superflu, tout en travaillant la forme bien sûr. J’aime aussi les films très saturés, avec des plans étranges, qui retranscrivent l’expérience d’une personne. J’aime beaucoup Tarkovski, il n’a pas peur qu’on ne comprenne pas ses films. Je pleure à chaque fois devant, je ressens toujours plein d’émotions, même si je n’ai pas tout compris. J’aime les auteurs qui essayent de créer des choses nouvelles. J’ai l’impression de découvrir une nouvelle couleur à chaque fois. Et c’est ce que j’ai envie de faire.
En tant que femme franco-algérienne, as-tu rencontré des difficultés à travailler dans le cinéma ?
Je suis très naïve, je crois en la bonté des gens. Si on ne m’écoute pas par exemple, je me dis que je ne me suis peut-être pas assez affirmée. Mais c’est vrai que par moment, je me sens un peu plus isolée, avec des collègues qui sur certains points ne me ressemblent pas beaucoup. Je suis consciente qu’il y a des problèmes. Mais en même temps, cette différence c’est ma force. Si j’essaye de prendre le chemin de tout le monde, de ne pas agir comme je suis, je n’y arriverai pas. Je serai peut être seule, ça va être compliqué, mais c’est mon chemin.
Propos recueillis par Quentin Coutanceau
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