Blackthorn – western avec Sam Shepard
Genre américain – au sens étatsuniens du terme – par excellence, extrêmement codifié, le western fut l’emblème du cinéma de l’Oncle Sam durant les années 1950, puis connut la disgrâce, malgré quelques magnifiques tentatives de réhabilitation plus ou moins couronnées de succès. Il en fut ainsi de Danse avec les Loups (1991) et Open Range (2003) de Kevin Costner ; Impitoyable (1992) de Clint Eastwood ; Mort ou Vif (1995) de Sam Raimi ; ou plus récemment d’Appaloosa (2008) d’Ed Harris. Il fallait donc bien de l’audace pour exhumer à la fois le genre et l’un de ses plus légendaires héros : rien moins que Butch Cassidy, incarné ici par un Sam Shepard charismatique. C’est pourtant ce qu’a entrepris Mateo Gil dans ce Blackthorn resplendissant de beauté, qui ressuscite les mythes du Far West pour mieux les réinterpréter.
Car c’est bien de résurrection qu’il s’agit : lorsque, vieilli et apaisé, Butch Cassidy apparaît sur le seuil de sa ferme en Bolivie, il est supposé être mort depuis plus de vingt ans. Paisible éleveur de chevaux, il écrit à un fils inconnu, aux Etats-Unis. Et c’est pour retrouver ce fils qu’il part récupérer ses économies avant de s’embarquer pour le pays natal. Mais en chemin, il rencontre un jeune ingénieur qui vient de dérober 50’000 $ au seigneur de l’industrie locale. Se prenant d’affection pour lui, Cassidy, rebaptisé James Blackthorn, décide de l’aider à fuir ses poursuivants.
Mateo Gil réussit là une première transposition. Conservant un thème de western classique – à savoir la fuite des héros traqués en quête de rédemption – il substitue aux arides déserts du Texas et aux canyons de l’Arizona les vertes, chaudes vallées d’Amérique Latine et les déserts de sel boliviens. Pourtant, dans ces nouveaux paysages se ressent la même Liberté, le même sentiment d’horizon ouvert à tous les espoirs de l’Homme par ces Grands Espaces. Cette Liberté que Butch Cassidy déclare sans ambages préférer à toute autre richesse, devant l’incrédulité de son jeune acolyte. Il réaffirme ainsi le vrai sens du western : un cinéma émerveillé par l’infinité des possibles que semble recéler un territoire sans limite. Butch Cassidy explique sa nostalgie du temps où personne n’était propriétaire de rien, et où par conséquent tout le monde possédait tout. La Frontière, pas vraiment tracée, sans cesse repoussée, laissait apparaître de nouvelles terres comme autant de promesses. Mais lorsque chacun a commencé à s’approprier un ranch, cette liberté a pris fin. Le monde s’est fermé : Cassidy est allé chercher dans le reste du continent américain cette ouverture qui n’existait plus.
Du western classique, Mateo Gil reprend aussi les valeurs humanistes. Quoiqu’on lui ait reproché un certain manichéisme, qui paraissait faire des Indiens les méchants oppresseurs et de la Cavalerie les gentils héros, le genre a – notamment chez John Ford – souvent loué la richesse de la culture indienne peu à peu ravagée par l’envahisseur blanc et l’alcool. Dans Blackthorn, les paysans boliviens sont tour à tour l’ennemi invisible qui traque les deux héros et la population injustement méprisée, aimée, secourue, affrontée, respectée. La virilité ne repose pas sur le culte de la violence : Cassidy en impose par sa seule présence. Il blesse en cas de nécessité, mais ne tue pas s’il peut l’éviter. Ce n’est pas l’appât du gain mais l’honneur qui le guide.
Difficile enfin de ne pas songer à The Searchers (La Prisonnière du Désert, John Ford, 1956), lorsque les deux comparses traversent côte à côte l’étendue blanche du désert de sel. D’autant que, parti à la recherche d’un fils, Blackthorn / Cassidy semble le trouver en chemin. Cette problématique de la filiation était également tout l’enjeu de The Searchers, sans doute l’un des plus beaux Ford, qui voyait John Wayne et Jeffrey Hunter partir en quête d’une nièce perdue.
Ainsi, beau et triste, parce que comme tout western classique hanté par le sentiment de fatalité, Blackthorn ne pèche peut-être que par l’usage de quelques flashbacks inutiles, manifestement destinés à renforcer l’épaisseur psychologique du héros. En ce sens il est dommage que le réalisateur ait choisi ce procédé plutôt que de faire totalement confiance au charisme et à l’interprétation remarquable, toute en subtilité, de Sam Shepard. Il émane cependant tant d’ingéniosité et de poésie de ce Blackthorn qu’on lui pardonnera volontiers ce petit défaut.
Raphaëlle Chargois
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Blackthorn
De Mateo Gil
Avec Sam Shepard, Eduardo Noriega et Magaly Solier
Sortie le 31 août 2011
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