Balada Triste – Interview d’Alex de la Iglesia
Adolescente, j’ai été traumatisé par une scène de torture dans Action Mutante, qui mélange lame de rasoir et sel. Comment le film a-t-il été accueilli en Espagne ? Comment les Espagnols accueillent ils le genre horrifique de manière générale ?
Le film a été très bien accueilli, puisque j’ai pu en faire d’autres ! Le film d’horreur reste un genre mineur, et les Espagnols ne m’ont jamais considéré comme un réalisateur sérieux. Toute ma carrière a cependant été récompensée, quand j’ai reçu cette année le prix national de cinéma au festival de San Sebastian. Je suis l’héritier d’une longue tradition de l’horreur, avec les peintures de Goya, du Greco, les nains de Vélasquez… Cela fait partie de la culture espagnole, mais aussi anglo-saxonne, cet amour du grotesque. En espagnol, on parle de desperfecto : un mélange de grotesque et d’humour noir.
Alors que vous étiez président de l’Académie du Cinéma en Espagne, vous avez démissionné pour montrer votre désaccord face à la loi Sinde, l’équivalent de notre Hadopi. Pouvez-vous m’expliquer votre point de vue ?
Ma position était intermédiaire, je défendais autant les droits des auteurs que ceux du public ; je pensais pouvoir arriver à un accord, mais cela a abouti à un échec. Par ma démission, j’ai voulu démontrer qu’on pouvait changer d’avis : au début, je défendais la loi bec et ongles, puis à force d’en débattre avec des gens à l’opinion contraire, je me suis rendu compte qu’il y avait moyen d’articuler la loi d’une autre manière. J’ai voulu montrer que reconnaître qu’on est dans l’erreur, c’est permis. Ma démission était paradoxalement un moyen de continuer le dialogue, car le débat était en train de mourir. Ça n’appartient pas du tout à la tradition espagnole de démissionner, et je pense que c’était vraiment un bon moment pour le faire.
Parlez-moi de votre direction d’acteur. Comment fait-on pour filmer des acteurs aussi différents que Carmen Maura (Mes Chers voisins) Elijah Wood, John Hurt (Crimes à Oxford) ou encore votre propre femme, Carolina Bang (Balada Triste) ?
C’est très facile. Il suffit de connaître l’autre personne pour lui faire comprendre ce que vous voulez. On doit jouer un rôle différent avec chacun, sans qu’il sache cependant que vous êtes en train de le jouer (rires).
Mort de rire parlait déjà de la relation entre deux clowns, mais plus sur le mode de l’amitié, alors qu’ici la haine prévaut. Aviez-vous envie d’explorer une autre part de ce monde de paillettes ?
J’avais envie de refaire le film, en disposant de nouveaux éléments. Mort de rire parle de l’impossibilité de l’amitié, et de la souffrance qui naît de cette impossibilité. Balada Triste évoque l’amour et la lutte à mort pour obtenir une femme. Dans le triangle amoureux qui oppose Javier (le clown triste) à Sergio (l’Auguste) dans la conquête de la trapéziste Natalia, il y a ce dialogue savoureux : Javier déclare à Natalia « Je suis devenu fou à cause de toi. » Et elle, elle comprend cela d’une manière passionnée : « je suis fou de toi ». J’aime beaucoup ce genre de quiproquo, d’ambivalence.
Balada Triste est une fresque somptueuse et grotesque qui débute en plein guerre civile et se termine dans les affres du terrorisme des années de plomb. Grandeur, décadence, burlesque, et aussi la plus belle mort de l’histoire du cinéma, tout y est. Comment avez-vous fait ?
Oui, nous avions très envie de tourner cette scène, même si elle nous en a coûté émotionnellement. Sans en dire plus, la personne qui incarne ce rôle a vraiment un immense talent, objectivement.
Le film évoque bien entendu le franquisme, dans une sorte de relecture délirante des traumatismes ibériques.
Le film est jalonné de personnages, de moments et de lieux-clés. Par exemple pour la scène de la morsure de Franco par Javier, cela est parti d’une photo célèbre de Franco, où il apparaît la main bandée suite à un accident de chasse, soit-disant. Cela m’a beaucoup plu de transformer cet accident en morsure de clown !
Le général borgne a existé, même si il est déjà mort quand se passe l’action principale du film, en 1973. Ce personnage évoque bien entendu la mémoire du général José Millán-Astray, un personnage historique extrêmement cruel. Il y a un dialogue célébre entre le général et Miguel de Unamuno, un grand intellectuel espagnol. Alors que Unamuno lui disait « vous vainquerez, mais vous ne pourrez pas convaincre », le général répondit : « A mort les intellectuels, et vive la mort. »
Il y a aussi ce décor immense, surplombé par une croix pharaonnesque…
Il s’agit de la Sainte-Croix del Valle de los Caidos (de la Vallée des Tombés), le symbole le plus prégnant du franquisme. Un endroit où sont tombés beaucoup d’Espagnols, républicains et nationalistes, mais aussi la tombe-même de Franco. Ensevelis avec les 34’000 morts qu’il a provoqués.
Peut-on comparer cette volonté de réécriture de l’Histoire à celle qui a habité Tarantino dans Inglorious Basterds ?
C’est vrai que j’ai eu beaucoup de plaisir à réinterpréter l’Histoire, mais je ne me serais pas permis de la changer totalement comme il l’a fait. Tout ce que je raconte est vrai, même si c’est une vision personnelle !
Propos recueillis par Mathilde de Beaune
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Balada triste
D’Alex de la Iglesia
Avec Carlos Areces, Antonio de la Torre, Carolina Bang
En salle depuis le 22 juin 2011
[Visuels : en haut, affiche du film. En bas, Alex de la Iglesia sur le tournage. Copyright SND]
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