Bad Lieutenant – film avec Nicolas Cage
On pourra s’étonner du battage publicitaire dont a bénéficié le dernier film de Werner Herzog, tant celui-ci s’apparente au plus insolent des accidents industriels. D’abord dans son rejet radical des conventions hollywoodiennes du remake, généralement circonscrit à une reproduction ad hoc de la structure et des enjeux originels. S’il a conservé la figure du Bad Lieutenant de Ferrara, le réalisateur allemand en a éliminé toutes les tentations christiques, pour ne garder que l’idée d’une contagion du Mal à tous les niveaux.
Exit donc les couleurs brumeuses du New York des années 90, l’enquête obstinée après le viol d’une nonne et les visions mystiques d’un flic en quête de réhabilitation. Werner Herzog a transposé l’action dans une Nouvelle-Orléans crépusculaire, balayée par l’ouragan Katrina et celui, plus insidieux, de la crise d’identité qui affecta les Etats-Unis par la suite. C’est le terrain de jeu de Terence Macdonagh, un ripou sous opium lancé à la recherche des tueurs d’une famille sénégalaise.
Une manière de polar
Dans le rôle du Bad Lieutenant, Nicolas Cage, monstre claudiquant, joueur compulsif entiché d’une prostituée dans les mains de la mafia locale, retrouve ses vibrations extatiques d’A tombeau ouvert. Mais c’est moins la résolution de l’enquête qui motive Werner Herzog que le parcours funèbre de son anti-héros, sorte de suicide-live rythmé par une partition blues et des visions fantasmagoriques (un bestiaire reptilien hante le cadre, les âmes dansent au-dessus des corps morts).
À mesure que le récit avance et que l’enquête piétine, Terence Macdonagh abandonne tous ses restes d’humanité et s’enlise dans une réalité parallèle. Comme dans son récent Grizzly man, le réalisateur entretient une ambiguïté constante entre les angles narratifs, entre une approche quasi-documentaire et des irruptions oniriques incontrôlées. Il redéfinit ainsi une manière de polar, délestée des codes contemporains d’un réalisme lugubre (David Fincher) ou d’une pulsion hardboiled (Franck Miller).
Mais le propos n’en est pas moins subversif, et lorsque l’affaire est conclue, Werner Herzog simule un happy end (Terence Macdonagh désormais père est nommé capitaine) pour affirmer en sourdine l’impossibilité d’une rédemption (Terence Macdonagh continue de se droguer).
On se souvient alors qu’apprenant que le cinéaste Allemand était attaché au projet du remake de son film, Abel Ferrara aurait déclaré : « Go to Hell ! ». Qu’il se rassure, Werner Herzog y est déjà.
Romain Blondeau
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Bad Lieutenant
De Werner Herzog
Avec Nicolas Cage, Eva Mendès et Val Kilmer
Sortie le 17 mars 2010
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