Takeshi Kitano – Fondation Cartier
Cinéaste iconoclaste, mais aussi artiste plasticien, peintre, poète, Takeshi Kitano sonde le terrain de l’image dans l’horizon de sa profonde équivocité sans hésiter à en briser la figure sacrée. Signée « Beat Takeshi », l’exposition de la Fondation Cartier sacrifie le célèbre Kitano, plus connu en Occident pour être le sombre réalisateur de Sonatine, Hana-bi, ou Dolls, en faisant pour la première fois toute la lumière sur le travail d’un artiste déjanté dont l’œuvre éclatée n’est que le reflet d’une identité atomisée.
Paradigme explicite du motif affiché de l’exposition, la statue de cire de Beat Takeshi Kitano dressée au cœur du dispositif, exhibant à crâne ouvert sa masse cérébrale sans que l’on sache lequel des deux – de la tête ou du cerveau, du dedans ou du dehors – adresse la parole à l’autre : « Qui es-tu toi qui me regardes ? ». Dédoublement de la pellicule psychique ; Kitano pratique à vif une incision à double tranchant dont l’opération vise à vide l’injonction delphique « Connais-toi toi-même ». Non loin de là, émane d’un théâtre traditionnel Ô-Edo, la musique folklorique du Kabuki, derrière les masques des marionnettes se cachent plusieurs Takeshi.
En un dialogue ininterrompu entre vérité scientifique et esthétique, logos savant et artistique, Kitano désarticule le corpus du sens commun en l’exposant aux limites de sa raison logique : l’installation « Probabilité du hasard », séparée en deux hémisphères agitant sous cloche les pièces d’une horloge démontée, métaphorise, au-dessus d’un chronomètre affichant l’âge de Kitano en temps réel, l’improbable création de l’univers. Au rez-de-chaussée, « Monsieur Pollock », une sphère mobile crachant de la peinture, reproduit par le truchement de ses déplacements mécaniques et aléatoires des toiles évoquant le travail du célèbre peintre américain, Jackson Pollock. Provocation sibylline de l’œuvre d’art par l’œuvre du hasard.
Mise en scène plus satirique que sadique de la peine capitale – pratiquée encore aujourd’hui au Japon –, l’exécution ratée d’un criminel condamné à mourir par pendaison, dévisage avec une ironie grinçante la violence d’un régime dont le pouvoir de mort est lui-même à l’agonie. Au sous-sol, à l’instar du laboratoire d’un savant fou, une chambre noire cernée de rideaux rouges diffuse en boucle les expériences loufoques réalisées par Beat Takeshi pour la télévision japonaise. De l’autre côté, taillé aux dimensions d’une baraque foraine des années 50, un cabinet de curiosités abrite de singulières chimères comme autant de crases fantasmées par l’artiste-créateur, n’ayant en commun que leur hybridité, toutes esquisses d’une genèse aux contours redessinés, tel l’éléphant à queue de poisson.
Plus qu’une aire de récréation dans l’espace de création de l’art contemporain, Takeshi Kitano fabrique de toutes pièces une véritable machine de réflexion qui, telle la tour de Hanoï – sommet perplexe de l’exposition – déroute le réel dans sa vocation à la réalisation.
Nora Monnet
Lire aussi sur Artistik Rezo, Takeshi Kitano, l’iconoclaste au Centre Pompidou.
Beat Takeshi Kitano – Gosse de peintre
Du 11 mars au 12 septembre 2010
Du mardi au dimanche de 11h à 20h
Nocturne le mardi jusqu’à 22h
Renseignements / Réservations au 01 42 18 56 50
Plein tarif : 7,5 euros / Tarif réduit : 5 euros
Fondation Cartier
261, boulevard Raspail 75014 Paris
Métro : Raspail ou Denfert-Rochereau (lignes 4 et 6)
Bus : 38, 68, 88, 91
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