Anne Faucon : “Avec Utopia, il y a ce désir de se créer une bonne vie !”
Dans le cadre d’une semaine thématique intitulée “Comment la culture change le monde” animée par Samuel Valensi, les étudiants de 5e année de l’ICART ont accueilli plusieurs professionnels engagés dans la transition du secteur culturel. Le 2 février, c’est Anne Faucon, à l’initiative du projet Utopia Pont-Sainte-Marie, qui leur a présenté ses activités.
Quelles sont les valeurs du réseau Utopia et comment évoluent-elles ?
Utopia a été créé par des personnes non issues du milieu du cinéma et qui ont vu dans le 7e art un moyen de changer ce qui les entourait. S’ouvrir à la culture et plus particulièrement au cinéma, leur a permis de créer une forme de modèle atypique, indépendant. Il y avait ce désir de se créer une “bonne” vie. Utopia a toujours fonctionné dans une grande collégialité, qui se concrétise désormais sous la forme de coopératives (SCOP). Cela implique beaucoup de discussions, de désaccords, mais c’est ce qui fait notre richesse. Grâce à Utopia, j’ai rencontré des personnalités engagées qui m’ont beaucoup appris sur l’écologie comme le fait qu’une pelouse, un terrain de golf, sont des déserts écologiques et l’extraction de l’uranium une catastrophe (à Arlit au Niger notamment).
Par la suite, j’ai voulu créer mon propre cinéma à Billère à côté de Pau, il y a eu des retards constructifs pour la mairie et il était difficile de faire avancer les choses dans des délais raisonnables. Le projet de Billère est retardé, mais nous restons en contact, prêts à épauler la commune si la situation se décante. Construire un cinéma demande des moyens, mais il est essentiel de trouver des soutiens financiers et des systèmes de gouvernance, qui permettent de garder une indépendance sur le plan idéologique.
Vous avez le beau projet d’un nouveau cinéma pour Pont-Sainte-Marie, quelle est sa singularité et comment évolue-t-il ?
Ce futur cinéma implanté en périphérie de Troyes, sera respectueux de l’environnement et de la biodiversité. Notre objectif est de produire plus d’énergie que celle utilisée grâce au photovoltaïque et à un poêle biomasse. De plus, le bâtiment sera bas-carbone, construit avec des matériaux biosourcés. Économe en eau, grâce à des toilettes sèches et à une noue végétalisée pour ne rejeter que très peu d’eaux usées dans le réseau public. Il opte pour le zéro déchet, avec la récupération et la revalorisation des urines (dans l’agriculture) ainsi qu’un système de compostage. Il contribuera également à la bonne santé de la filière du cinéma français en diffusant de petites productions.
Malgré que l’Aube soit une zone blanche dépourvue de cinéma Art et Essai et que notre projet soit légitime tant sur le plan cinématographique qu’écologique, nous avons rencontré de nombreux blocages de la part du multiplexe implanté, en situation de monopole, position suivie par une partie de la sphère politique locale qui a tenté de nous empêcher de nous implanter en région troyenne. Mais le maire de Pont-Sainte-Marie s’est rapproché de nous et nous a proposé un terrain sur le futur écoquartier. Nous nous sommes retrouvés sur la même longueur d’onde, partageant des valeurs communes, la notion d’intérêt général. Avec une équipe de maîtrise d’œuvre spécialisée en optimisation énergétique nous avons ainsi pu commencer à travailler sur un projet ambitieux, adapté au terrain. Nous avions également pour ambition de parvenir à contraindre le budget de construction, de manière à ce que ce projet vertueux écologiquement soit accessible et reproductible par d’autres exploitants.
Concernant les blocages administratifs et financiers que vous avez rencontrés, qu’en est-il aujourd’hui ?
On aurait pu penser que le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée), le ministère de la Transition écologique, ou encore les personnalités de l’écologie se seraient jetés sur le premier cinéma à énergie positive. Mais ce sont les fonctionnaires de la région, “les petites mains”, qui se sont passionnés pour le dossier et nous ont aidé à le défendre, malgré les blocages politiques. Nous avons écrit aux députés de l’Assemblée nationale, aux ministres de la Culture (M. Riester puis Mme Bachelot), avec peu de retours, dans un premier temps. Puis quelques journalistes de la presse indépendante se sont penchés sur la question et ont publié des articles qui nous ont été utiles. Le crowdfunding sur Ulule a également démontré l’intérêt des citoyen.es et des professionnels pour l’implantation de ce cinéma.
Puis le FEDER (Fonds européen de développement régional) nous a accordé son soutien financier et c’est là que les autres collectivités ont dû réaliser qu’elles passaient à côté de quelque chose. Le CNC a décidé de réétudier notre demande. Ces blocages sont très représentatifs de ce qu’il peut se passer dans les commissions où ce sont les courants dominants qui sont représentés. Les points de vue indépendants, de ceux qui ne font pas allégeance, quelle que soit la qualité du travail qu’ils effectuent, sont rarement entendus et encore moins défendus.
Dans le fond, beaucoup sont persuadés qu’une seule manière de faire est possible. Cela dans les formations professionnelles les plus renommées, comme la Fémis. Il semble n’y avoir que deux modèles possibles : un qui veut qu’on ne puisse se passer de recettes annexes comme de la confiserie, de la publicité, des blockbusters ou d’innovations du type de la 3D pour faire vivre un cinéma, l’autre qui veut que, si on fait une programmation pointue sans recettes annexes, on ne puisse pas survivre et que l’on doive recourir à des subventions de fonctionnement. Mais depuis 40 ans Utopia fait la démonstration inverse en faisant vivre ses cinémas sans 3D, ni popcorn, ni subventions autres que les aides automatiques du CNC liées à la qualité de la programmation.
Selon vous, qu’est-ce qui est à l’origine de ces blocages ?
Ce que je trouve redoutable, c’est le manque de bon sens et tout ce qui est labellisation : les normes imposées dans le bâtiment sont parfois antinomiques avec la transition écologique, et donc favorisent plus les grosses firmes que les artisans locaux. Même la labellisation “Art et Essai” qui a de très bons côtés parce qu’elle permet d’avoir des aides en fonction du travail qu’on effectue, peut voir ses critères de sélection évoluer avec le temps, devenir moins exigeants.
Utopia est né d’une ambition sociale et solidaire, quels sont aujourd’hui vos liens avec les acteurs culturels et associatifs ?
On rencontre et on tisse des liens avec énormément de monde, d’associations, de mouvements militants à la caisse d’Utopia et beaucoup d’actions s’organisent spontanément au fil des discussions. Mais, par exemple, avec les acteurs culturels institutionnels locaux de Tournefeuille, comme on ne se croisait pas forcément, chacun étant accaparé sur son propre lieu, nous avons pris l’initiative de leur proposer d’organiser des petits-déjeuners. Ces moments informels nous ont permis de renforcer nos liens et de créer de nouvelles collaborations.
Nous sommes à l’écoute de toutes les propositions de débats. Côté solidaire, nous privilégions les petites initiatives locales. Par exemple, à Tournefeuille, une association nommée Sakado, récupère chaque année des habits pour les sans-abri. Nous soutenons aussi des projets de jardins familiaux et des AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne). Le crowdfunding pour Pont-Sainte-Marie, a également démontré un élan de solidarité, une forme de communauté d’intérêts qui s’est créée entre les spectateurs des cinémas Utopia qui dépasse l’utilisation personnelle d’un lieu.
Par ailleurs, la gestion de la crise sanitaire est désastreuse pour les liens sociaux. Si nous avons, lors du premier confinement, organisé quelques débats en visio, pour tenter de garder le lien avec le public, nous avons vite renoncé par la suite. De fait, notre corps de métier est le contact direct avec les personnes, et non pas le virtuel. Celui-ci, de plus, exclut les personnes qui n’ont pas les moyens d’avoir un ordinateur, celles qui ont d’autant plus besoin de chaleur humaine et de culture.
Finalement, comment peut-on relever le défi écologique ?
Je pense qu’il faut aller vers une forme de “décroissance joyeuse”. Il n’y a pas de solution miracle, il faut étudier au cas par cas et tenter de faire au mieux, en sachant ce qui compte dans la vie. Ce n’est jamais complètement parfait, on fait avec ce que l’on a, avec ce que l’on est. Le meilleur moyen de tendre vers cette décroissance c’est déjà de moins consommer. Si tout le monde apporte sa pierre à l’édifice, nous pourrons construire un monde meilleur.
Propos recueillis par Leahna Larrouy, Claire Sanmarty-Simon, Esra Blohberger, Adrien Flament, Alice Caron, Camille Bonniou, Joana Fontaine, Juliette Clemente, Clarence Legras
Rédigé par Leahna Larrouy, Claire Sanmarty-Simon, Esra Blohberger
Plus d’informations sur Anne Faucon : LinkedIn
Pour en apprendre d’avantage, vous pouvez vous rendre sur le site Internet du cinéma Utopia.
Pour avoir des informations supplémentaires sur les salles : Avignon – Bordeaux – Montpellier – Saint-Ouen-l’Aumône – Toulouse et Tournefeuille – Pont-Sainte-Marie
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